Très exposés à l'infection chronique par le virus de l'hépatite C, les consommateurs de drogues injectables n'ont pas toujours accès au nouveaux antiviraux à action directe. Selon les dernières données de l'étude ANRS FANTASIO publiées dans « International Journal of Drug Policy »1, les femmes consommatrices de drogues seraient encore moins bien prises en charge que leurs homologues de sexe masculin.Un des auteurs, le Dr Patrizia Carrieri (laboratoire de Sciences économiques & sociales de la santé & traitement de l’information médicale, INSERM, IRD et université Aix-Marseille), revient sur les principales causes de cette discrimination, et sur les moyens d'y remédier.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi vous êtes vous intéressée à l’accès aux antiviraux à action directe (AAD) des consommatrices de drogues injectables ?
Dr PATRIZIA CARRIERI : Je travaille depuis 1997 dans ce domaine en France. C’était l’époque des grandes révolutions thérapeutiques marquées par l’arrivée des antirétroviraux pour le VIH et les traitements de substitutions pour les usagers de drogues. Les résultats de la cohorte ANRS MANIF 2000 nous avaient déjà permis de mettre en évidence que, chez les patients co-infectés par le VIH et l’hépatite C par usage de drogues, l’accès à la biopsie hépatique était moindre chez les femmes2.
Nous avons voulu mettre en place un observatoire pour étudier les barrières individuelles et contextuelles à l’accès aux traitements VHC pour les femmes et les autres groupes vulnérables. ANRS Fantasio est une étude qui analyse les données de l’Assurance Maladie. Elle est coordonnée par le Dr Benjamin Rolland (Université de Lyon, CH Le Vinatier) en collaboration avec notre équipe, le SESSTIM.
Les femmes consommatrices de drogues ont 28 % de chance en moins d'être traitées par les AAD que les hommes. Pourquoi ?
Les femmes usagères de drogues cumulent souvent plusieurs facteurs de vulnérabilité : enfants à charge, expérience de stigmatisation et de violence, dépendance psychologique et économique envers leur partenaire, etc. L’ensemble de ces conditions ne facilite pas l’accès aux soins en général et la prise en charge du VHC n’est pas une priorité pour elles. De plus, certaines ont été traumatisées par leur expérience avec le Peg-interféron. Nous avons d’ailleurs montré par le passé que les femmes usagères de drogues présentaient davantage d'évènements secondaires que les hommes.
Il faut noter que l'introduction des AAD a été associée à une amélioration de l’accès aux traitements : les femmes ont 41 % de moins de chance d’avoir été traitées par Peg-Interféron (les anciens traitements). La différence entre hommes et femmes reste toutefois importante.
Quelles pourraient être les solutions pour leur permettre d’accéder aux AAD ?
Il faut combiner plusieurs solutions. Il est nécessaire de prendre en compte les besoins de ces femmes par exemple en créant des espaces et des temps dédiés à leur dépistage et à leur prise en charge. Pour les femmes suivies en médecine générale pour leur traitement de substitution, l’élargissement de la prescription des AAD par les généralistes pourra permettre de combler une partie de cet écart.
Il existe quelques structures spécialisées dans l’accueil des consommatrices de drogues injectables. Est-ce que la multiplication de tels lieux pourrait être une partie de la solution à ce problème ?
Je pense que c’est une excellente idée. Puisque les problèmes qu’elles rencontrent dans leur vie quotidienne sont de plusieurs types, des structures organisées pour répondre aux divers besoins des femmes sont une solution intéressante pour les attirer dans les soins. La présence des pairs dans ces structures est essentielle pour faciliter l’observance et faire en sorte que la guérison de l’hépatite C soit un premier pas qui participe d’une amélioration globale de la santé et de l’insertion sociale. Je pense aussi qu’il faudrait généraliser les initiatives de type logements thérapeutiques qui existent dans plusieurs villes et qui facilitent l’accès aux soins et à une prise en charge globale.
1 : TeresaRojas Rojas et al, International Journal of Drug Policy, DOI : https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2019.05.013, 22 mai 2019
2 : Dominique Rey et al, Journal of Urban Health, Volume 81, Issue 1, p 48–57, Mars 2004
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?