LE QUOTIDIEN : Quels sont les dossiers sur lesquels vous aurez à travailler qui vous paraissent les plus importants ?
Dr NICOLAS PRISSE : L'année 2017 est particulière à plusieurs titres : c'est à la fois une année d'élection et la dernière année du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives commencé en 2013. Quoi qu'il arrive, nous allons donc redéfinir la stratégie gouvernementale. Dans la continuité du travail de Madame Danièle Jourdain-Menninger, nous sommes en train d'élaborer des propositions et des informations objectives sur les projets prioritaires à l'intention du nouveau gouvernement.
Parmi nos priorités, la protection de la jeunesse constitue le trépied de la prévention des conduites addictives. Il faudrait que l'on dispose, dans les années à venir, d'un parcours de prévention des élèves plus étayé pour savoir : qui intervient ? quand ? avec quelle modalité d'échange avec les élèves ? Cela peut tout à fait s'inscrire dans le parcours éducatif de santé de l'Éducation nationale.
La lutte contre les trafics constitue un autre point important, ainsi que l'accompagnement et le soin par les dispositifs comme les CSAPA ou les consultations jeunes consommateurs. J'insiste aussi sur le rôle des médecins généralistes et du premier recours. Nous avons tout intérêt à multiplier les acteurs capables d'apporter des réponses au premier contact.
Il nous manque aussi un outillage opérationnel pour les acteurs de terrain et notamment nos chefs de projet n'ont pas le temps de lire la littérature scientifique. Nous avons aussi besoin d'outils pour les collectivités territoriales, parfois démunies face aux situations économiques de leurs territoires qui se traduisent par des trafics et une forte consommation de tabac et de drogue.
Pensez-vous que la question des addictions occupe une place suffisante dans la campagne électorale ?
Même si on n'en entend pas parler publiquement, les états-majors des candidats se posent les questions face à certains constats : l'Assurance-maladie paye environ 20 milliards d'euros par an de dépenses en lien avec les addictions. Le coût global pour la société s'élève même à 250 milliards en valorisant les années de vie perdues.
Les propositions sont un peu « cash » car très communicantes. C'est peut-être un prisme des campagnes électorales que l'on voit à la va-vite, mais je ne doute pas que chacun a une idée sur la question.
La légalisation du cannabis est une de ces « propositions cash » formulée par plusieurs candidats, mais aussi par des parlementaires et des médecins. Quelle est votre position sur cette question ?
Si on regarde le problème de façon caricaturale : « êtes-vous pour ou contre la légalisation du cannabis », on va un petit peu dans le mur. Les bonnes questions à se poser sont : quels sont les risques sur lesquels on veut agir en priorité ? quels sont les leviers à notre disposition ? est-ce qu'il faut faire évoluer notre politique pénale ? Il y a des arguments pour et quelques arguments contre.
Il ne faut pas donner dans l’idéologie. Nous attendons des données d'une étude internationale Cannalex qui compare les évolutions entre les États qui ont mis en place des mesures de déréglementation. Une dépénalisation ne s'envisage sans aborder la question du renforcement des compétences psychosociales chez les plus jeunes et de la lutte contre les trafics des substances qui restent interdites.
Notre travail, c'est de dire au prochain gouvernement dans quelles conditions une modification de la réglementation est possible. N'oublions pas que la légalisation n'est pas la panacée ! Le tabac et l'alcool sont en vente libre et causent 130 000 morts par an.
L'évaluation des salles de consommation se poursuit sur les deux salles de Paris et de Strasbourg, tandis que le projet de Bordeaux avance doucement. Pensez-vous qu'il y aura suffisamment de sites d'expérimentation pour arriver à une conclusion ?
Je pense que ces deux expérimentations sur des populations très différentes suffisent pour nous donner une idée. Nous savions que l'ouverture d'une salle serait compliquée, puisqu'il faut l'accord des élus locaux et des riverains ainsi qu'une source de financement. Même si Strasbourg et Paris marchent bien, ce n'est pas un dispositif qui est appelé à être généralisé.
En 2017, et pour la cinquième année consécutive le budget de la MILDECA va baisser, pour être fixé à 17,84 millions d'euros, soit une baisse de 25 % par rapport à 2012. Le fonctionnement de la MILDECA est il en danger ?
Notre fonctionnement n'est pas en danger mais nous avons moins de marge de manœuvre. La situation de la MILDECA n'est pas singulière dans un paysage d'administrations dont les crédits sont en baisse. Nous gardons un bon bras de levier avec les financements actuels. Quand la MILDECA met de l’argent dans un projet, cela permet souvent aux porteurs de projets d'obtenir d'autres financements locaux.
Je suis un éternel optimiste : cela nous oblige à mieux cerner nos priorités. Nous devons être exemplaires dans notre façon de déléguer nos crédits, avec des résultats tangibles en termes de qualité des interventions et de baisse des prévalences de consommation. Alors, nous pourrons plaider devant le premier ministre pour arrêter cette baisse des moyens d'intervention.
Lors de la session spéciale de l'assemblée générale des Nations unis sur les drogues (UNGASS) la France et d'autres pays ne sont pas parvenus à obtenir une interdiction de la peine de mort pour les usagers de drogue. Allez-vous continuer à être l'avocat de cette position à l'international ?
La France et les pays européens ont une position assez équilibrée vis-à-vis de la consommation de drogues. On a face à nous, des pays qui sont sur une ligne différente, dure, quasi exclusivement répressive. La semaine prochaine, nous allons nous rendre à Vienne à une réunion des représentants nationaux sur les questions de drogue. J'y défendrai la position française, et en particulier la question de la lutte contre la peine de mort contre les personnes impliquées dans les trafics et les exécutions sommaires que l'on observe depuis quelque temps aux Philippines.
C'est une question importante : nous devons défendre nos principes et rencontrer nos homologues pour discuter de convergences possibles.
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