Selon le bilan de l’Agence national de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), seulement 6 200 patients sont inscrits sur le portail dédié à la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du baclofène (Liorésal de Novartis et Baclofène Zentiva de Sanofi Aventis) dans l’indication de la diminution de la consommation et du maintien de l’abstinence après sevrage des patients dépendants à l’alcool.
Ce nombre semble très faible si on le compare aux 100 000 patients actuellement sous baclofène, donc traités en dehors de la RTU dans leur grande majorité. Pour y remédier, un comité scientifique temporaire, comprenant notamment des médecins généralistes et des addictologues, commencera à se réunir en novembre afin de définir les axes d’amélioration de ce dispositif jugé trop lourd et contraignant par les médecins du premier recours. « Même les médecins généralistes les plus militants se sont lassés, explique le Dr Serge Aknine qui dirige le groupe MG addiction au sein de la fédération addiction. Une enquête menée par la société française d’alcoologie avait montré qu’il y avait une énorme déperdition après l’inscription des informations relatives au premier entretien. Non seulement le nombre de patients enregistré est faible, mais leurs données ne sont pas exploitables, faute de suivi ».
Des seuils de traitement décourageants
Pour le Pr Philippe Jaury, principal investigateur de l’étude Bacloville actuellement en cours, la RTU mise en place par l’ANSM est peut-être bien en train de tuer le baclofène. « Un an après sa mise en place, les ventes de baclofène ont chuté alors qu’elles étaient en augmentation depuis 2008 », explique-t-il. Parmi les griefs récurrents des médecins prescripteurs, figure la question des seuils de 120 mg/j et 180 mg/j au-delà desquels ils doivent respectivement faire appel à un « médecin expérimenté » et à un « avis collégial » auprès d’un Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). « Un avis collégial ! Réagit le Pr Jaury, un groupe de médecins hostiles au baclofène que l’on va déranger en les obligeant à se réunir. C’est probablement une des contraintes administratives les plus invraisemblables que l’on n’ait jamais inventées. »
Pour le Pr Jaury, le recours à un expert extérieur devrait être conseillé, et non pas imposé. « On ne nous a jamais donné de liste d’experts à contacter, et les professionnels des CSAPA ont souvent une moins grande habitude du baclofène que nous », estime-t-il. Ce double seuil aurait incité les médecins à garder leurs patients en dessous de 120 mg/j, alors que la dose moyenne pour obtenir une indifférence à l’alcool se situe entre 130 et 150 mg/j selon les études.
L’autre gros reproche concerne l’étroitesse des critères d’inclusion. La RTU exclut en effet les patients sous Subutex, les consommateurs de cocaïne ainsi que les patients déprimés ou ayant des antécédents psychiatriques. « Avec de tels critères, on ne peut rentrer que 10 à 15 % de nos patients… ceux qui vont bien », constate le Pr Jaury.
Qui traite les données ?
Le problème de l’utilisation des données renseignées sur le portail a également refroidi les patients et les médecins. « Certains de nos patients refusent d’être inscrits sur le portail car ils ne veulent pas être fichés », poursuit le Pr Jaury. Une inquiétude écartée par le Dr Aknine : « On ne rentre que les trois premières lettres du nom du patient. La plupart des médecins ont bien compris qu’il s’agit de colliger les effets indésirables et non pas répertorier les patients. »
D’un point de vue pratique l’aspect chronophage de l’ensemble est aussi pointé du doigt : « J’ai rentré 10 patients sur les 300 que je suis, et puis j’ai arrêté, raconte le Pr Jaury. Il faut renseigner le moindre changement, le moindre incident. L’ANSM nous demande de faire un travail de pharmaco vigilance, ce que je peux comprendre, mais sans nous rémunérer pour ça. »
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