Annoncé le 19 décembre dernier, l'accord a permis à Altria d'acquérir plus d'un tiers du capital de Juul Labs, pour un montant de 12,8 milliards de dollars (soit 11,6 milliards d'euros). Une transaction qui valorise ce dernier à 38 milliards de dollars (33,4 milliards d'euros). Dans un article publié récemment dans le British Medical Journal (1), le Pr David Levy (oncologue au Lombardi Comprehensive Cancer Center de l'université de Georgetown, États-Unis) et ses collègues analysent les motivations qui ont poussé Altria à entrer au capital de Juul Labs. Mais aussi, les raisons pour lesquelles ce dernier a accepté l'offre.
« Le prix élevé payé par Altria montre que ce dernier considère les produits du vapotage comme une menace majeure à son commerce de cigarettes. Alors que les bénéfices annuels d'Altria se réduisent, sa prise de participation dans le capital de Juul lui permet de s'affirmer en tant qu'acteur de poids sur le marché des produits alternatifs au tabac. Quant à Juul, il bénéficiera notamment de la puissance d'Altria en termes de marketing », concluent les auteurs de l'étude.
Juul Labs a de quoi séduire le géant Altria. La jeune start-up créée en 2015 est, très vite, devenue le numéro un de la cigarette électronique aux États-Unis, passant d'une part de marché de près de 14 % au début de 2017 à plus de 70 % aujourd'hui. Ses vapoteuses - qui se démarquent des e-cigarettes classiques en ressemblant à une clef USB - sont particulièrement prisées des jeunes. Les produits Juul véhiculent une image « cool » que la cigarette n'a plus, aux États-Unis, auprès des adolescents. Pour s'adapter à la diminution du tabagisme dans les pays occidentaux, les cigarettiers internationaux ont investi dans les e-cigarettes. Toutefois, aux États-Unis, la popularité de Juul est telle qu'elle a évincé les autres fabricants d'e-cigarettes.
Induire une addiction rapide à la nicotine
Selon le Dr Ivan Berlin, pharmacologue addictologue à La Pitié-Salpêtrière (Paris), l'enjeu du mariage entre Altria et Juul Labs est clair. « Il vise à introduire et pérenniser l'addiction à la nicotine, notamment auprès des jeunes. En effet, la Food and Drug Administration (FDA) a commandité une étude montrant que les adolescents deviennent rapidement dépendants à la nicotine en utilisant les e-cigarettes Juul. Le vapotage via ces produits induit une voie d'administration originale de la nicotine : celle-ci est absorbée à travers la muqueuse buccale, sans fumée, et arriverait directement au niveau cérébral. Ainsi, les jeunes peuvent devenir « accros » à la nicotine (en seulement quelques heures ou jours) via les e-cigarettes Juul ». Deux possibilités s'offrent alors à ces derniers : « soit, ils continuent d'utiliser les produits Juul, soit ils les délaissent, à terme, pour fumer des cigarettes. Avec ce rachat, Altria sera gagnant dans les deux cas », précise le Dr Berlin.
Aujourd'hui, les consommateurs ont accès, outre le tabac, à la nicotine via les systèmes alternatifs de délivrance de la nicotine (SADN) : tabac chauffé, e-cigarettes classiques et produits Juul. « Cette offre pléthorique assurera d'énormes bénéfices à l'industrie du tabac, à long terme, si ces produits ne sont pas utilisés pour arrêter de fumer. Sur le plan de la santé publique, toute autre utilisation pourra créer de nouvelles générations de fumeurs. Nous risquons alors de connaître la même situation qu'il y a 30 ans », déplore le Dr Berlin. Toutefois, tout n'est pas perdu.
Conscient des risques du vapotage pour la santé, la FDA exige que Juul Labs démontre, d'ici 2022, que ses produits sont inoffensifs et représentent une aide à l'arrêt du tabac. À défaut de preuves, la FDA pourrait stopper la commercialisation des e-cigarettes Juul. En France, les produits Juul sont disponibles depuis le 6 décembre 2018. « Alors même que ceux-ci contiennent des sels de nicotine, nous ne disposons d'aucun dispositif de surveillance évaluant leurs effets sur le comportement des utilisateurs », conclut le Dr Anne-Laurence Le Faou, responsable du centre d'addictologie de l'hôpital européen Georges Pompidou (Paris) et présidente de la Société francophone de tabacologie.
D. Levy et al., BMJ, DOI: 10.1136/tobaccocontrol-2019-055081, 2019
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