Les mesures déployées entre 2016 et 2020 par la France pour réduire le tabagisme, aussi coûteuses soient-elles, sont rentables d'un point de vue économique, met en évidence un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réalisé avec le soutien de Santé publique France. Chaque euro investi en rapporterait ainsi quatre.
C'est la première fois que la France évalue l'intérêt économique de sa lutte anti-tabac, notamment des mesures mises en œuvre depuis 2016 et de la première édition du #MoisSansTabac en novembre. Cette campagne, inspirée des pays anglo-saxons, a été suivie par l'instauration du paquet neutre au 1er janvier 2017, puis d'une hausse du prix du paquet entre 2018 et 2020 (de 41 %, pour la marque la plus vendue) et du remboursement des substituts nicotiniques au 1er janvier 2019.
« Des mesures évaluées et reconnues par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme les meilleurs choix en termes de rentabilité, d’acceptabilité et de rapport coût/efficacité », souligne Francesca Colombo, cheffe de la division de la santé de l'OCDE, tout en rappelant la situation inquiétante de la France sur le plan du tabagisme.
Encore 25 % des Français fument quotidiennement en 2022, contre 16 % en moyenne dans les pays de l'OCDE, 12-13 % aux États-Unis ou en Australie, et 8-9 % en Norvège et en Islande. Le taux de tabagisme des femmes est le 3e plus élevé derrière celui de la Hongrie et du Chili. Et les jeunes ne sont pas épargnés puisqu'environ 1 % des enfants de 12 ans déclarent fumer chaque jour en 2018 et jusqu'à 22 % des adolescents de 17 ans. « La France a du retard par rapport aux pays qui ont adopté les mêmes politiques, des décennies avant », commente la responsable de l'OCDE.
Quatre millions de maladies non transmissibles évitées
Selon les travaux de l'OCDE, basés sur un modèle de microsimulation, si les mesures prises en France entre 2016 et 2020 (à cheval sur deux programmes nationaux de lutte contre le tabac 2014-2019 et 2018-2022) étaient maintenues sur la période 2023-2050, elles éviteraient quatre millions de maladies non transmissibles (MNT) entre 2023 et 2050 - cancers, infections des voies respiratoires inférieures, BPCO, troubles musculo-squelettiques, maladies cardiovasculaires - et augmenteraient l'espérance de vie de 1,3 mois.
Cela donnerait lieu à une réduction des coûts sanitaires de 578 millions d'euros, l'équivalent de 18 % du budget santé d'une région comme la Bourgogne-Franche-Comté, et de 4 % de la prévention en France en 2016.
La productivité du pays en serait augmentée, ces mesures assurant le maintien en emploi de 19 800 ETP (plus que le nombre de salariés d'un CHU comme celui de Toulouse, par exemple) supplémentaires par an, par rapport à un scenario dans lequel elles ne seraient pas appliquées.
Tout compte fait, chaque euro investi dans ces mesures rapporte quatre euros en gain sur les dépenses de santé à long terme (car moins de maladies à traiter et de pertes sur le marché du travail). « Même si ces mesures peuvent être coûteuses (leur mise en place coûterait 148 millions d'euros par an, la plus "chère" étant le remboursement des substituts nicotiniques, qui s'est élevé à 132 millions d'euros en 2021, N.D.L.R.), elles valent la peinent, non seulement pour la santé des individus, mais aussi pour celle du système de santé », commente Francesca Colombo.
François Beck, directeur de la prévention à SPF, a, quant à lui, insisté sur l'importance de combiner toutes ces mesures pour espérer d'ici à 2030, une génération sans tabac. « Il faut coupler les mesures individuelles à celles qui portent sur l'environnement (hausse des prix du tabac, interdiction de la publicité), dans le souci de réduire les inégalités sociales ».
94 millions d'euros économisés grâce au Mois SansTabac
L'OCDE s'est par ailleurs penchée plus spécifiquement sur la campagne Mois Sans Tabac qui a déjà permis d'augmenter le taux de sevrage tabagique de 21 % entre 2016 et 2020.
La campagne de marketing social devrait permettre en 2023 et 2050 d'éviter plus de 500 000 MNT (241 000 cas d’infections respiratoires basses, 44 000 cas de BPCO et 28 000 cas de cancers), d'économiser 94 millions d'euros par an en moyenne sur les dépenses de santé, (pour un coût par année d’environ 12 millions par an) et d'ajouter 2 800 travailleurs par an au marché du travail. Pour chaque euro investi dans Mois Sans Tabac, plus de sept sont économisés sur les dépenses de santé du fait de l’arrêt du tabagisme.
Toutefois, les effets du Mois Sans Tabac et plus largement de la politique anti-tabac risquent d'être moindres qu'attendus, de l'ordre de 10 à 15 % sous l'effet du Covid. Selon les dernières données de SPF, la baisse du tabagisme constatée depuis 2016 connaît un coup d'arrêt en 2022, tandis que les inégalités sociales se creusent. Un quart des fumeurs ont ainsi augmenté leur consommation lors du premier confinement, et le nombre d'appel au service d'aide au sevrage a diminué. « Nous n'avons pas pu réaliser toutes nos actions de proximité sur le terrain en 2020 et 2021 », a regretté Viêt Nguyen Thanh, responsable de l'unité addictions à SPF.
« Mais même en tenant compte de ce ralentissement, le train de mesures pris depuis 2016 est rentable et constitue un excellent investissement », a encouragé Francesca Colombo de l'OCDE. Autant d'arguments pour poursuivre ces politiques de santé publique.
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