Le plan Crack mis en place à Paris entre 2019 et 2021 a eu des résultats positifs « réels mais partiels » sur le plan médicosocial, mais a été sans effets sur les atteintes à la tranquillité publique, selon les conclusions de la Cour des comptes. Les rapporteurs constatent bel et bien une augmentation des capacités d'« aller vers » et des places d'hébergement, mais jugent aussi le plan sous-dimensionné et constatent une « dynamique initiale » qui est « retombée ».
La déléguée générale de la Fondation Addiction, Nathalie Latour, partage ce constat. « Tout n’est pas un échec », réagit-elle auprès du « Quotidien ». La mise en place du plan « montre que l'on obtient des effets quand on se met collectivement au travail, mais qu'il est difficile d’aller jusqu'au bout », poursuit-elle.
L'analyse de la chambre régionale d'Île-de-France de la Cour des comptes porte sur le plan d'action triennal conclu en 2019 entre la préfecture de la région Île-de-France, la préfecture de police, la Mildeca, l'ARS et la ville de Paris. L'objectif était de mutualiser leurs moyens pour lutter contre la consommation de crack. Ce plan comporte 33 actions, majoritairement placées sur le terrain de la prise en charge sanitaire et sociale, dont les associations Aurore, Gaïa, Nova Dona et Safe devaient assurer la mise en œuvre.
Les rapporteurs ont adressé des questionnaires aux signataires du plan, et ont effectué des visites de terrain. Il en ressort que 19 des 33 actions ont bien été mises en œuvre, avec un financement qui a largement dépassé les budgets initialement prévus : 25 millions au lieu de 9. Pour la Cour des comptes, le résultat le plus marquant reste le grand développement de la mise à l’abri en hôtel, favorisé par la crise sanitaire, avec notamment une hausse conséquente des dispositifs d'hébergement d'urgence et de réinsertion sociale.
« Notre dispositif Assore, qui était calibré pour 50 chambres, en compte maintenant 440 », détaille Florian Guyot, directeur général de l'association Aurore. Plus de deux tiers des personnes qui entrent dans ce dispositif adhèrent au soin selon les statistiques de l'association. « En 2020, nous avons eu 104 sorties et autant d’entrées dans nos hébergements d'urgence. La moitié des sorties étaient classées positives, ce qui est un très bon ratio, poursuit Florian Guyot. Ces patients ont bénéficié d'une solution d'hébergement pérenne avec du soin, ou ont reconnecté avec leur famille. »
Des postes trop peu attractifs
Ces avancées sont ternies par des échecs majeurs : l'absence de développement des salles de repos et des salles de consommation à moindre risque, manque de places d'hébergement d'aval plus pérennes et de graves difficultés de recrutement d'infirmiers, de médecins et de psychologues par les associations. « Entre 10 et 15 % des postes sont vacants, enrage Florian Guyot. Les centres de formation ne font pas le plein aujourd’hui. Il faut valoriser ces métiers du lien social : le point d'indice sur lequel se base notre convention collective a augmenté de 9 % en 20 ans alors que l'inflation fut de 28 % sur la même période. » Les métiers du médicosocial en lien avec les publics en difficulté ont notamment longtemps été exclus des revalorisations décidées dans le cadre du Ségur de la santé.
« Il s'agit de métiers très compliqués, ajoute Nathalie Latour. La manière dont la problématique du crack est médiatisée porte sur les équipes qui font face à l'hostilité des riverains, parfois jusqu'à recevoir des tirs de mortiers. Si on autorise la mise en place de scènes ouvertes, cela signifie qu'on laisse les équipes faire de l'accompagnement de consommation à l'extérieur sans protection. »
Un paysage chamboulé depuis 2019
En définitive, le plan Crack voyait-il trop petit ? Pour la Cour des comptes, c'est même ce manque d'ambition qui explique ses résultats mitigés. Un manque d'ambition géographique pour commencer – le champ d'intervention est limité à Paris intra-muros -, une absence de mesure particulière visant à renforcer l'interpellation des revendeurs pour continuer et un manque de portées des actions retenues pour finir.
Ainsi, le plan n'a pas imposé l'ouverture de nuit des espaces de repos, et ne prévoyait qu'une réflexion sur l'ouverture de nouvelles salles de consommation à moindre risque. « Les maraudes sont maintenant plus nombreuses et diversifiées, mais il faut des solutions d'hébergement pour prendre le relais derrière », résume Nathalie Latour.
Vers un plan Crack numéro 2 ?
Les rapporteurs de la Cour des comptes jugent qu'il faut relancer « la coordination des acteurs publics ». Ils estiment qu'il faut « tirer les enseignements du "plan Crack" sur la base d'une appréciation partagée par l'ensemble des partenaires, des acquis et des limites de chacune des actions réalisées et des modalités de leur mise en œuvre ».
« La répartition de rôles doit être moins brouillée, renchérit Nathalie Latour. Dans certains dossiers de SCMR (salles de consommation à moindre risque, NDLR), le gouvernement se décharge de toute responsabilité sur les maires. Dans d'autres, comme cela a été le cas à Lille, les mairies font tous le travail et le projet est finalement interdit par le Premier ministre ! Les maires ne savent plus s'ils doivent s'investir ou non ! »
« Ce que je retiens du rapport de la Cours des comptes et de notre expérience, c'est que nous avons pu mettre en place une méthodologie et une collaboration entre plusieurs parties, explique Florian Guyot. On peut refaire ce travail pour un nouveau plan qui ne serait plus uniquement médicosocial, mais qui tiendrait compte du besoin de sécurité des riverains qu'il faut écouter et de la lutte contre les trafics qu'il faut mener. »
Si le plan Crack paraît a posteriori sous-dimensionné, c'est aussi parce que la situation de la consommation de drogue à Paris a radicalement changé depuis 2019. À l’époque, elle se concentrait principalement sur la « Colline du Crack », à la Porte de la Chapelle dans le 18e arrondissement. Au gré des crises et des évacuations, des scènes ouvertes ont fait leur apparition dans les 18, 19 et 20es arrondissements, en particulier au niveau de la place de Stalingrad, de la Porte de la Chapelle et des jardins d'Éole.
Pour Nathalie Latour, une stratégie cohérente de lutte contre la consommation de drogue risque toujours d'être soumise aux « phénomènes de "stop-and-go" dictés par des enjeux politiques ». Elle cite en exemple la reculade de la mairie de Paris qui a conduit à priver le projet de lieu de repos situé Porte de la Chapelle de l'espace de consommation qu'il devait abriter. « Une politique de soin et de réduction des risques est inscrite dans une politique de santé, mais le problème est qu'actuellement, le volet pénal prend le dessus à la moindre secousse politique », se désole-t-elle.
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