Plusieurs médecins et psychiatres ont vivement contesté l'avis négatif du comité scientifique spécialisé (CSST), chargé d'évaluer le bénéfice risque de l'utilisation du baclofène dans l'indication du traitement de l'alcoolodépendance, dont des extraits ont été communiqués par l’Agence nationale de sécurité de médicament (ANSM). Ce CSST, mis en place dans le cadre du traitement de la demande d'autorisation de mise sur le marché déposée par le laboratoire Ethypharm pour une nouvelle formulation du baclofène, avait conclu à un « rapport bénéfice risque négatif » et jugé que l'efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d'alcool est « cliniquement insuffisante ».
« L'ANSM se déconsidère », réagissent dans un communiqué plusieurs médecins soutenant le baclofène, dont le Pr Amine Benyamina, président de la fédération française d'addictologie, le Dr Renaud de Beaurepaire, chef du pôle addiction de l’hôpital Paul-Guiraud, à Villejuif, le Pr Bernard Granger de l’Université Paris Descartes, Pr Jean-Roger Le Gall de l’Académie nationale de Médecine, le Pr Philippe Jaury, principal investigateur de l'étude Bacloville ainsi que le Pr Didier Sicard, de l’Université Paris Descartes.
Un comité contesté
Ces praticiens contestent la légitimité du CSST « composé d'experts dont aucun n’est en réalité spécialiste de l’addiction à l’alcool » et qui a, selon eux, « rapidement effectué sa mission sans entendre ceux qui contestent avec des arguments scientifiques solides et plus d’une décennie de pratique professionnelle, l’évaluation des risques mise en œuvre par la CNAMTS, l’ANSM et l’INSERM. »
Ils remettent aussi en question l'interprétation des études Alpadir et Bacloville, les deux principales sources de données exploitées par le CSST. « Pour ne citer que les erreurs les plus grossières concernant la tolérance, les décès dans le groupe baclofène n'ont pas été imputés au traitement par le comité scientifique indépendant de l'étude Bacloville, et dans Alpadir il y a eu davantage d'effets indésirables graves dans le groupe placebo que dans le groupe baclofène », expliquent les signataires du communiqué, qui dénoncent un « travail téléguidé et superficiel ».
Rappelons que, dans les 2 études, il avait été observé un fort effet du placebo sur la réduction de la consommation, et que la différence entre la consommation d'alcool dans le groupe baclofène et le groupe placebo n'était pas statistiquement significative dans l’étude Alpadir et significative dans l'étude Bacloville.
Des praticiens de terrain montent au front
Ces critiques s'ajoutent à celles formulées par un autre groupe de 31 médecins dans une tribune qui sera publiée cette semaine dans la revue « LE FLYER ». Les auteurs exercent en ville ou en CSAPPA, et se présentent comme n'étant « ni collectif militant, ni baclo-sceptiques mais tout simplement cliniciens accompagnant au quotidien des patients alcooliques ». Ils affichent leur incompréhension face à la conclusion du CSST : « Nous ne remettons pas en cause les conclusions du CSST, précisent-ils, mais nous mesurons au quotidien les risques imputables à l’alcool. »
Les auteurs rappellent que, selon un rapport de la société française d'alcoologie de 2013, environ 400 000 Français sont hospitalisés chaque année pour des causes liées à l'alcool (comas éthyliques, hépatites, cirrhoses…). L'alcool serait en outre responsable de 50 000 décès par an, dont 15 000 par cancer. « Les évaluateurs du rapport bénéfices-risques ont-ils inclus ces données ?, questionnent les signataires. Il faudrait tenir compte du poids de cette maladie. Il ne s’agit pas d’un traitement de la migraine ou de la fatigue passagère pour lequel la survenue d’effets indésirables délégitimerait une demande d’AMM. »
Ils citent également les résultats de l’étude OBADE, présentés en avril 2018 au congrès de l’association nationale des hépato-gastroentérologues des hôpitaux généraux, et menée entre mars 2012 et décembre 2016 sur 202 patients dont 77 souffrant de cirhose. Au bout du suivi, 70 % des patients avaient une consommation nulle ou inférieure à 30 g par jour et aucun évènement indésirable sévère n'a été rapporté, y compris dans le groupe cirrhose.
Pour les signataires de la tribune, « l’efficacité du baclofène ne fait guère de doute, comparée aux autres traitements existants [...] On dispose probablement pour la première fois d’un traitement créant une demande de soins venant de patients en grande difficulté [...] Nous espérons des Autorités de santé, ANSM en tête puis HAS, stimulées pas les "politiques" responsables de la santé publique, qu’elles donnent un nouvel élan. C’est une opportunité de faire entrer dans le soin des dizaines de milliers de patients en difficulté avec l’alcool. »
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