Dans les années quatre-vingt, en réponse à l’explosion des épidémies de SIDA et d’hépatites parmi les usagers de drogues, certains pays européens se lancent dans la réduction des risques. Inspirés par le modèle américain, ils autorisent l’accès à la méthadone dans un cadre réglementaire strict.
En France, l’approche répressive reste de mise - à part dans le cadre d'expériences sporadiques, les traitements de substitution aux opiacés (TSO) restent inaccessibles sur le territoire. Pourtant, au début des années quatre-vingt-dix, le risque de décès chez les usagers français est estimé 13 fois supérieur à celui de la population générale.
Une poignée de politiciens se battent pour changer la donne (Bernard Kouchner, Philippe Douste-Blazy, Simone Veil…), épaulés par l’association Médecin du Monde (MdM), qui offre la première consultation gratuite et anonyme pour toxicomanes. « On passait pour des délinquants », se rappelle le Dr Kouchner, alors ministre de la santé et de l'action humanitaire. « À la descente du bus MdM, la police arrêtait les consommateurs mais aussi les médecins ! » témoigne-il à l'occasion des « journées Controverses, Consensus et Perspectives » organisées par le laboratoire Indivior.
Dans le contexte du fléau grandissant de l'épidémie de SIDA et du scandale du sang contaminé, les autorités sanitaires finissent par reconnaître l’intérêt des TSO. En 1994, la méthadone devient légale, mais reste limitée à quelques centres. En 1996, la France autorise l'utilisation de la buprénorphine, un agoniste partiel avec un moindre risque de mésusage.
« French Paradox »
Pour les addictologues, la mise à disposition de la buprénorphine déclenche une révolution. « Alors que les praticiens français n’ont pratiquement aucune expérience avec la buprénorphine, ce traitement est tout d’un coup distribué aux médecins généralistes, sans préparation, sans formation. C’est à l’opposé de ce qui est fait dans les autres pays, où la méthadone est dispensée dans un cadre extrêmement réglementaire », explique le Pr William Lowenstein, président de SOS Addiction. Malgré ce manque d’expérience, et dès la première année, les morts par overdose commencent à chuter. C’est le « French Paradox ». « Ce très large accès au traitement a été la condition sine qua non du spectaculaire succès de santé publique observé aujourd’hui en France », conclut le Dr Daulouède, psychiatre-addictologue à Biarritz, pionnier de la réduction des risques à la française.
Bilan : avec presque 60 000 personnes sous méthadone et au moins 120 000 sous buprénorphine, 80 % des usagers sont aujourd'hui sous TSO. Le nombre d'injecteurs a été réduit par 6, le nombre de décès par overdose par 5. Les overdoses seraient responsables de 4 à 7 fois moins de décès en France qu'au Royaume-Uni et à l’Allemagne. Enfin, la transmission du VIH et la mortalité due au SIDA ont également dégringolé dans cette population.
Nouveaux profils d'usagers
Désormais, ce sont les opioïdes licites qui sont à l'origine de la majorité des overdoses. En 2014, 135 décès associés aux TSO (dont 80 % avec la méthadone) ont été enregistrés en France - plus du double du nombre de décès associés à l'héroïne, selon les données de l'enquête DRAMES (décès en relation avec l'abus de médicaments et de substances). Les overdoses d'antalgiques (tramadol et morphine) sont également à surveiller.
Pour illustrer l’ampleur du risque posé par les antalgiques, le Pr Maurice Dematteis, du CHU de Grenoble, décrit l’exemple des États-Unis, où la consommation d’opioïdes sur ordonnance a quadruplé en 15 ans. La mortalité par overdose médicamenteuse a elle aussi explosé. En 2014, près de 19 000 décès par overdose d’antalgiques morphiniques ont été enregistrés aux USA, contre un peu plus de 10 000 impliquant l’héroïne.
« Chaque jour aux USA, ce sont plus de 1 000 personnes qui sont traitées aux urgences pour un mésusage des opiacés sur ordonnance », souligne le Pr Dematteis, en s'appuyant sur les données des centre américains pour le contrôle des maladies (CDC). « On voit bien que le fait d’avoir augmenté l’accessibilité aux produits contribue à ces problématiques d’overdose. Si on n’en est pas encore là en France, on pourrait rapidement se retrouver confrontés au même problème ».
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