La coupe du monde de Rugby qui a démarré le 9 septembre devait être l'occasion de diffuser une campagne de communication grand public sur les risques sanitaires liés à la consommation d'alcool en France. Selon les éléments rassemblés par la cellule investigation de Radio France, cette campagne de Santé publique France a été annulée, en même temps qu'une autre, à la suite de protestations du lobby de la filière viticole.
« C'est édifiant, mais nous ne sommes qu'à moitié surpris, réagit le Pr Amine Benyamina, psychiatre et président de la Fédération française d'addictologie. Ce gouvernement nous a habitués à sa proximité avec les lobbies alcooliers. Cette fois-ci, ils sont montés d'un cran car il s'agissait d'une campagne validée et financée par le ministère de la Santé. »
Une communication limitée à la consommation excessive
La campagne pour la Coupe du monde avait été demandée dès novembre 2022, pour une diffusion programmée dès début septembre. Elle devait mettre en scène un entraîneur s'adressant aux supporters pour les mettre en garde contre les abus d’alcool. L'autre devait être diffusée plus tôt dans l'année et présenter des personnes en train de boire un verre. Sur la moitié de l'image, un cliché d’imagerie cérébrale ou cardiaque était censé rappeler le risque accru de pathologies cardiovasculaires et d'AVC hémorragiques. Présentées fin mai 2023 au cabinet du ministre de la Santé, François Braun, les deux campagnes ont été retoquées deux semaines plus tard, selon les informations de Radio France.
Le but de la campagne était de présenter les risques à long terme d'une consommation modérée d'alcool en population générale. « Les alcooliers ne veulent pas de ce genre de message, affirme le Pr Benyamina. Ils préfèrent que les campagnes se concentrent sur la vision caricaturale de la consommation excessive d'alcool. Il est pourtant important que la population générale soit informée des risques qu'elle encourt en consommant de l'alcool régulièrement. »
Alors même qu'il annulait ces deux campagnes, le ministère en autorisait une autre destinée aux jeunes et centrée sur la consommation excessive en soirée.
46 000 morts par an et un coût social énorme
Responsable du plaidoyer Alcool au sein de la Fédération Addiction, Benjamin Tubiana rappelle que le gouvernement d'Emmanuel Macron n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'il avait fait parler de lui en annulant à la dernière minute la participation de l'agence Santé publique France au premier « Dry January ».
« On dénombre environ 46 000 morts chaque année en France liés à la consommation d'alcool. Ce devrait être une cause nationale, dénonce-t-il. Les chiffres montrent en outre que la consommation d'alcool génère des coûts de santé plus élevés que ce que qu'elle rapporte à l'État en taxes. »
Selon une estimation publiée en juillet par l'Observatoire national des drogues et des tendances addictives (OFDT), le coût pour les finances publiques s'élève à 3,3 milliards d'euros : c'est-à-dire les coûts des traitements (7,8 milliards) et de la prévention et de la répression (plus de 740 millions) auxquels sont déduites les taxes sur l'alcool (4 milliards) et les économies de retraites (1,3 milliard). Le coût social de l'alcool dans son ensemble représente près de 102 milliards d'euros par an.
Ministère sous influence
Pour le Pr Benyamina, cette annulation de campagnes n'augure rien de bon pour l'avenir. « Il n'est pas normal qu'il faille attendre que les lobbies autorisent une campagne de prévention pour avoir le droit de la mener à bien », s'emporte-t-il.
À ce sujet, le nouveau ministre de la Santé a emboîté le pas de son prédécesseur, en refusant la rediffusion de la campagne de 2019 qui rappelait les risques et dommages liés à la consommation d'alcool au-delà des repères sanitaires (pas plus de deux verres par jour, et pas tous les jours).
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