« S'agissant de la taxe, moi je veux vous dire très clairement : il n'y a pas du tout de projet d'augmenter les taxes sur l'alcool. » C'est la réponse sans détour qu'a apportée la Première ministre Élisabeth Borne fin août : ce n'est pas du côté des alcooliers que le gouvernement cherchera de quoi boucler le budget de la sécurité sociale.
La rumeur d'une révision des mécanismes d'indexation des taxes sur l'alcool, ou « droits d'accise », enflait pourtant depuis plusieurs jours. La Cour des comptes s'était de nouveau inquiétée, dans un rapport en juillet dernier, de « l’absence de cohérence de la fiscalité sur les boissons alcoolisées », préconisant « le relèvement des droits d’accise afin de contribuer à réduire les consommations à risque ».
Le système fiscal français est alambiqué. Les boissons alcoolisées sont classées en plusieurs catégories, soumises à des systèmes de taxation différents : rapportés au volume de boisson pour les vins tranquilles, les vins mousseux, les cidres, les poirés ou l’hydromel, ou rapportés au volume d'alcool pour les bières et les spiritueux. Il y a de plus des effets de seuils : les bières de moins de 2,8 % d'alcool sont taxées à hauteur de 3,91 euros/hl/degré, et celles de plus de 2,8 % à hauteur de 7,82 euros/hl/degré.
Dans l'imposante expertise collective sur l'alcool de l'Inserm (2021), un chapitre entier est consacré aux politiques fiscales. Christian Ben Lakhdar, qui y a participé en tant qu'économiste spécialisé dans l'économie des conduites addictives à l'université de Lille, regrette l'illisibilité du régime fiscal français, « qui n'a pas de finalité autre qu'un protectionnisme de la filière viticole qui ne dit pas son nom ».
L'effet prix pondéré
Une augmentation des taxes serait-elle une bonne méthode pour agir sur les comportements ? Cette question « est largement étudiée à l'international », explique Christian Ben Lakhdar. Selon les données de la littérature, le rapport entre l'augmentation des taxes et la baisse de la consommation est de l'ordre de -0,5, ce qui signifie qu'une augmentation de 10 % des taxes est associée à une baisse de 5 % de la demande.
« Ce ratio a été évalué en prenant en compte les autres facteurs, mais certains sont difficiles à contrôler comme la culture nationale ou les stratégies des industriels », reconnaît Christian Ben Lakhdar. La France accuse du retard en matière de recherche. « Il n'y a pas d'étude sur l'élasticité prix-demande, alors qu'on le fait pour le tabac, le pain ou encore l'énergie. C'est une grosse lacune due à un manque de volonté politique », ajoute-t-il.
L'analyse publiée en 2019 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) illustre bien le caractère multifactoriel de l'évolution de la consommation d'alcool, qui présente une tendance à la baisse sur le très long terme.
Les prix relatifs à l’ensemble des boissons alcoolisées ont augmenté de 5 % entre 2011 et 2018, mais l'impact n'a pas été le même selon les produits. La bière « est un des produits pour lequel la sensibilité aux taxes est la plus faible », note Christian Ben Lakhdar. Sa consommation a régulièrement augmenté de 2,8 % par an entre 2008 et 2015, et ce malgré une brusque hausse des prix de près de 11 % en 2013.
Pour Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités en marketing social à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, l’affaiblissement de la loi Evin depuis 1991 et l'ingéniosité des producteurs d'alcool (packaging, promotions) peuvent réduire l'effet de l'augmentation du prix des alcools. « Il faut une politique globale, plaide-t-elle. D'une part, on ne peut pas avoir des boissons alcooliques qui se vendent moins cher que des jus de fruit ou de l'eau, et d'autre part il faut que les interdictions de vente aux mineurs soient appliquées, que la loi sur la publicité soit appliquée et renforcée. »
Fiscalité en kilt
Pour les économistes comme Christian Ben Lakhdar, le design fiscal pertinent se situe au sein du Royaume-Uni, en Écosse pour être plus précis. Ce pays taxe les boissons au gramme d'alcool pur. Une décision très critiquée par les producteurs de whisky mais qui a porté ses fruits : une baisse de 13 % des décès sur une période de deux ans et demi (1). La mesure, qui s’est aussi révélée positive au Canada en termes de santé et d’ordre public, est défendue (2,3) et depuis 2015 dans un rapport de l'OCDE.
Le montage fiscal autour de l'alcool « dépend de l'objectif que l'on se fixe, poursuit Christian Ben Lakhdar. On sait que, traditionnellement, les gros buveurs ont une faible sensibilité aux taxes car ils maximisent le rendement alcoolique pour un prix donné. En revanche, le prix agit fortement sur les habitudes de la population générale, avec un effet substantiel sur les prévalences de maladies chroniques et on pourrait imaginer que les recettes fiscales supplémentaires générées soient investies dans la prise en charge des consommateurs problématiques. »
(1) G. Wyper et al, The Lancet, avril 2023,volume 401, n°10385, p1361-1370
(2) S. Boniface et al, BMJ Open, mars 2017, doi:10.1136/bmjopen-2016-013497
(3) F. Sassi et al, The Lancet, mai 2018, volume 391, n°10134, p2059-2070
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