Après la grande consultation de l'automne 2015, au cours de laquelle l'Ordre avait recueilli les avis de 35 000 praticiens sur l'avenir du système de santé, l'institution a pris le pouls des étudiants et jeunes médecins. Le résultat dresse le portrait sanitaire d'une génération d'étudiants parfois en souffrance.
« Admettre que le médecin peut être en détresse morale et physique, est longtemps resté un sujet tabou », rappelle le CNOM. Pour en savoir plus, sa commission Jeunes médecins a adressé par mail un questionnaire aux étudiants de 2e cycle, 3e cycle ou en fin de cursus, ainsi qu'à ceux disposant d'une licence de remplacement mais non inscrits à l’Ordre. Près de 8 000 d'entre eux ont répondu.
Plus d'un interne sur deux a eu un arrêt de travail dans les deux dernières années
Interrogés sur leur état de santé, près de 25 % des répondants le jugent moyen (21,1 %) ou mauvais (3,1 %). Mais c'est surtout en début de cursus qu'ils se sentent fragiles. 26,1 % des sondés du 2e cycle jugent leur état de santé moyen (4,7 % le jugent mauvais). Pour le 3e cycle, le ratio est de 20,6 % et 2,9 % (17,2 % et 2,1 % en fin de cursus). Les étudiants vivant seuls jugent plus sévèrement leur état de santé que ceux vivant en couple ou en famille. Enfin, alors que 58 % des sondés déclarent avoir un médecin traitant, ceux qui n'en ont pas sont plus nombreux à se sentir en moyenne ou mauvaise santé.
Cet état de santé conduit parfois certains à s'arrêter. Un étudiant de 2e cycle sur trois a eu un arrêt maladie au cours des deux dernières années — ils sont 56 % chez les internes et 11 % en fin de cursus. Dans 78,6 % des cas, cet arrêt était consécutif à un trouble somatique (21,4 % à un trouble psychique).
Les étudiants ne sont pas exempts d'idées suicidaires, comme l'actualité récente l'a tristement rappelé. Sur les 1 079 répondants ayant déjà pensé à mettre fin à leurs jours, (14 % des sondés), 578 ont également indiqué être en mauvaise ou moyenne santé. Parmi eux, 46 % vivent seuls, et 54,6 % travaillent plus de 48 heures par semaine. 29,2 % de ces 578 répondants affirment consommer « souvent » des produits comme le tabac, l'alcool ou des drogues illicites, et 30,2 % « parfois ».
Beaucoup de médicaments mais peu d'antidépresseurs
Étudiants et internes font aussi un usage parfois peu modéré des médicaments. Les antalgiques de palier 1 sont « souvent » consommés par 32 % des répondants (40,4 % en prennent « parfois », 22 % « rarement »). Pour ceux de palier 2, 3,1 % en ont souvent l'usage, 13,5 % parfois et 18,2 % rarement. Les anxiolytiques aussi font partie de la panoplie (3,1 %, 7,9 %, 11,5 %) et la consommation est sensiblement plus élevée chez les répondants en mauvaise santé, ou qui ont eu des idées suicidaires.
En revanche, les antidépresseurs ne font guère recette. 2,3 % en prennent souvent, 1,7 % parfois et 3,6 % rarement. Leur consommation se concentre essentiellement chez les étudiants ayant eu des idées suicidaires et étant en moyenne ou mauvaise santé. Les somnifères sont également peu utilisés par les carabins. Enfin, même s'ils font un usage assez large des médicaments, les carabins ne sont que 32 % à avoir consulté un omnipraticien au cours de l'année écoulée.
Les ravages de l'alcool
Pour l'alcool, c'est autre chose. 33 % des répondants en consomment tous les jours ou plusieurs fois par semaine. Au niveau national, selon l'INSEE, ce pourcentage s'élève à 17 % chez les 15-24 ans, à 38 % chez les 25-34 ans, et à 43 % pour l'ensemble de la population. Mais l'étude du CNOM n'aborde pas la question de la nature ni de la quantité des alcools absorbés. Elle aborde en revanche celle des psychotropes médicamenteux. 4 % des sondés en consomment tous les jours ou plusieurs fois par semaine.
Tout à leur cursus, les étudiants n'ont guère le temps de se reposer. 40 % d'entre eux assurent travailler entre 48 et 60 heures par semaine, et 27 % entre 35 et 48 heures. Le stress n'est jamais loin : 14,3 % des sondés y sont confrontés quotidiennement et 50,5 % de façon hebdomadaire. Ce rythme de travail et le stress qu'il génère ont des conséquences sur leurs performances professionnelles (82 % des répondants), leur vie sociale (91 %), leur vie familiale (87 %), et leur consommation de produits addictogènes (33 %).
« La souffrance des étudiants et des jeunes médecins est avérée », conclut le CNOM. L'institution qualifie de « profil à risque » l'étudiant travaillant au-delà de 48 heures par semaine, vivant seul, consommant plus que la moyenne d'antalgiques et de psychotropes, et manifestant un épuisement émotionnel. Un des étudiants sondés résume à sa manière : « La vie d'interne, c'est vraiment une terrible épreuve. »
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