DE NOTRE CORRESPONDANT
À CEUX QUI s’interrogeraient sur la réalité d’une banalisation de l’alcool chez les jeunes, un tour à pied la nuit dans les rues de Nantes (par exemple) peut être instructif. Il pleut et la température est fraîche. Mais, en à peine dix minutes, se croisent sur la place du Commerce, en plein centre-ville, un groupe de six jeunes, probablement des étudiants, dont l’un porte un cubis de vin ; quatre jeunes hommes visiblement éméchés et énervés ; deux garçons traversant calmement la place avec une bouteille de vodka entamée ; un groupe de cinq adolescents devant la porte d’un cinéma dont le seul garçon boit à petites gorgées du mousseux… Drôle d’ambiance. Il n’est que 22 h 30. Mais que va bien pouvoir faire l’équipe de veilleurs de soirée, unique dans son genre en France ? Comment parviendra-t-elle à « établir un dialogue à un moment de fête et de convivialité » et « entrer en contact avec des personnes fortement alcoolisées et/ou en situation de mal-être important », comme le précise un document de présentation de cette initiative démarrée en décembre 2007 ?
En six mois, courant 2007, deux étudiants alcoolisés se sont tués en tombant dans la Loire à la sortie de discothèque. La préfecture de Loire-Atlantique et la mairie de Nantes s’emparent de l’actualité. Le 25 octobre 2007, la première lance son plan alcool ; le lendemain, Jean-Marc Ayrault, le maire de Nantes, lui emboîte le pas et prend un arrêté qui interdit toute pratique visant à promouvoir la consommation excessive d’alcool. Open bar (vente d’alcool à volonté moyennant un forfait au montant faible) et « happy hours » sont interdits. Un arrêté réduisant les heures d’ouverture des débits de boissons est pris*, des contacts sont établis avec les professionnels pour les sensibiliser à leur responsabilité dans l’accès au produit.
Parmi les axes d’action prévus dans le plan, un dispositif de « maraude alcool » est souhaité. État et mairie s’entendent et font appel à l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) pour le mettre en place. Il est financé à 80 % par la préfecture et à 20 % par la ville de Nantes. Son originalité réside dans le fait que ceux que l’on nomme dorénavant les veilleurs de soirée sont sur le terrain toute l’année, les jeudis, vendredis et samedis, de 21 heures à 3 heures (plus tôt l’hiver quand les consommateurs sont moins souvent dans les rues), et sont concentrés sur le phénomène de l’hyperalcoolisation des jeunes.
Entamer la discussion.
Ce soir-là, le mauvais temps semble avoir refroidi les étudiants habituellement de sortie. Aurélie Demain, la coordinatrice de l’équipe, et ses trois collègues pour cette nuit (deux animatrices prévention santé, une infirmière et une étudiante future moniteur-éducateur), arpentent tout de même les rues, en suivant un parcours assez bien défini à l’avance et qui suit les lieux où se concentrent les lieux de consommation : place Graslin, place Royale, le quartier du Bouffay, souvent le hangar à Bananes, et les sites où sont organisés soirées étudiantes et concerts. Un consensus avec les cafetiers semble avoir été trouvé pour ne pas démarcher les clients des bars quand ils sont sur la voie publique, verre à la main la plupart du temps, pour fumer leur cigarette. Toute la difficulté de l’exercice est donc de réussir à entamer la discussion avec des personnes généralement en train de marcher ou mieux, assis ou immobiles... et qui ne demandent pas d’aide, comme le fait remarquer Aurélie Demain.
Plutôt jeunes, les quatre co-équipières de la soirée n’ont aucune réticence à aborder les groupes plus ou moins petits. Très professionnelles, elles arrivent même à faire éclater un groupe constitué d’une bonne vingtaine d’étudiants de l’école des Mines déjà bien alcoolisés, en plusieurs petits groupes. Histoire de mieux initier le dialoguer et de réussir à faire passer leur message : « On n’aborde pas les jeunes comme des sauveurs, souligne Emmanuelle Boccou, une des deux infirmières de l’équipe. On n’est pas dans le message : faut arrêter ! On va simplement sur leur terrain - ce qu’en général, ils apprécient, et on tente d’amener un questionnement individuel et collectif sur la prise de risque de la soirée et des soirées antérieures. Entre nous, on dit qu’on est là pour planter quelques points d’interrogation… » Ainsi, l’équipe des Veilleurs de soirée a pu constater une évolution dans le comportement d’un groupe croisé quasiment tous les week-ends. « Ils étaient très réticents au départ, a pu constater Aurélie Demain. Ils refusaient même les bouteilles d’eau qu’on distribue pour expliquer le risque de déshydratation. À force de discussion, ils se posent des questions sur leur consommation, ce qui est déjà beaucoup, et ils en parlent entre eux. On peut même dire qu’ils veillent maintenant les uns sur les autres. » Difficile pour autant de quantifier l’impact que les Veilleurs de soirée ont eu sur les comportements des 2 950 jeunes croisés de mars à décembre 2008 et sur leur consommation, supérieure à la moyenne nationale si l’on se réfère au dernier baromètre santé établi en 2005**.
Assez ingrat (surtout quand les co-équipières se font brocarder sur leur « uniforme » et sur leur mission de « faire la morale » comme certains jeunes rencontrés le disent), le travail de l’équipe est axé davantage sur « l’écoute attentive », notion mise en avant par Emmanuelle Boccou, que sur ce qui devait être la priorité du dispositif lors de son lancement, à savoir « récupérer les personnes ivres pour les mettre à l’abri dans un local ».
« Les jeunes nous disent souvent des choses très personnelles », souligne l’infirmière. Comme cet étudiant en 5 e année d’études d’ostéopathie, dont le père est médecin, et qui aborde lui-même l’équipe, comme c’est le cas dans la moitié des situations. Derrière une consommation qui se veut festive, il raconte toute l’ambiguïté de ce produit « culturel », le fameux alibi maintes fois servi aux Veilleurs de soirée, très facilement accessible, mais dont on sait pourtant qu’il fait des ravages. Le week-end dernier, un de ses amis a eu un accident de voiture. Il avait 1,4 g d’alcool dans le sang… mais personne n’a réussi à l’empêcher de prendre le volant.
* Il sera annulé par le tribunal administratif en juillet dernier et remplacé par un second arrêté appliqué depuis janvier.
** 42 % des garçons de 18-25 ans de Loire-Atlantique reconnaissaient avoir connu trois ivresses au cours des 12 derniers mois contre 23 % en France.
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