Alors que les ravages des opioïdes aux États-Unis poussent les autorités et les professionnels de santé français à tirer la sonnette d'alarme sur les dangers de la surprescription en évoquant le risque d'une crise sanitaire, l'Italie brosse son propre état des lieux de la situation. Première constatation importante : selon la communauté médicale transalpine, la péninsule ne peut pas être touchée par la crise des opioïdes.
D'abord en raison de l'organisation du système de santé totalement à l'opposé du système américain. « Les médicaments doivent être prescrits selon un protocole très strict articulé en plusieurs étapes et contrôlé par les centres de sécurité sociale disséminés dans tout le pays. Ce système permet par exemple, de voir si certaines substances sont trop fortes et si elles peuvent créer une dépendance », note le Pr Carlo Locatelli, toxicologue et directeur du centre antipoison Maugeri de Pavie (Nord). À cela s'ajoute la résistance des médecins italiens lorsqu'il s'agit de prescrire des opioïdes. « De nombreux médecins refusent de prescrire certains produits même lorsque l'intérêt du patient est en jeu au nom de la morale catholique qui préconise de souffrir », estime le Pr Gianfranco Catalano.Il y a quelques années, cet immunologiste qui travaille en milieu hospitalier, a voulu soulager la douleur d'un patient octogénaire. « J'ai demandé à un anesthésiste de m'aider à lui donner une dose de morphine pour réduire la douleur. Il m'a répondu : je ne pratique pas l'euthanasie. J'ai essayé de lui faire comprendre que je ne voulais pas le tuer mais seulement agir au niveau de la douleur. Je n'ai pas réussi à le convaincre », se souvient le Pr Catalano.
Résistance idéologique
« Chez les médecins, on peut carrément parler de résistance idéologique et historique face aux opioïdes, du coup parler de risque épidémique est impossible », note pour sa part, le Pr Roberta Pacifici, directeur du Centre national de toxicomanie et de dopage de l'Institut supérieur de la santé (ISS).
L'Observatoire national de la consommation de médicaments a récemment enregistré une hausse des prescriptions d'opioïdes depuis 2015, soit cinq ans après l'adoption de la loi antidouleur, notamment en ce qui concerne les alcaloïdes opiacés et les dérivés du Fentanyl. En parallèle, l'Observatoire relève également, une hausse de la consommation de médicaments utilisés pour combattre les symptômes dérivant du recours aux substances opioïdes comme la méthadone et la buprénorphine. « Parler d'augmentation de la consommation me semble un peu paradoxal compte tenu du contexte italien car tout en étant autorisés par la loi à prescrire des traitements antalgiques lourds, de nombreux médecins estiment que morphine = héroïne = toxicodépendance. », accuse le Dr Alessandro Sabatini.
Un contexte de sous-prescription
Ce généraliste soulève aussi le problème des contrôles extrêmement rigides. « La loi dit qu'il faut mettre le nom du patient sur les ordonnances. Un médecin ne peut pas par exemple s'autoprescrire de la morphine et la garder dans son cabinet pour les urgences par ailleurs. En prescrivant par exemple de la morphine un peu trop souvent, je risque de voir débarquer les carabiniers et la brigade anti-stupéfiant dans mon cabinet », ajoute le Dr Sabatini.
Durant ces dernières années, la communauté médicale a réclamé un assouplissement des procédures au niveau de la prescription thérapeutique et des études ont été publiées sur les opioïdes autorisés par la loi italienne. « La communauté médicale et scientifique considère globalement que les bénéfices sont supérieurs aux risques. Reste que le problème italien est à l'opposé du problème américain, car il faut bien le dire : nous sommes dans un contexte de sous-prescription », a récemment estimé le Pr Roberta Pacifici.
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