PAR LE Pr PHILIP GORWOOD*
ON ESTIME (indirectement) que cinq millions de Français sont abuseurs d’alcool, pour un million de dépendants. Des études épidémiologiques montrent de plus que l’abus d’alcool touche jusqu’à 20 % des patients hospitalisés (quelle qu’en soit la cause) et 40 % de ceux qui passent aux urgences. La prise en charge des sujets ayant des problèmes avec l’alcool fait donc partie des difficultés fréquentes de la médecine.
La reconnaissance de ces problèmes n’est pas chose toujours aisée, notamment avant que n’apparaissent les stigmates hépatiques ou sanguins, tels une augmentation des GGT ou une baisse des plaquettes. Rappelons qu’un listing de quatre questions (le DETA), rempli en deux minutes, peut aider efficacement à un tel repérage.
Poser le diagnostic d’alcoolo-dépendance, c’est dire que l’on a retrouvé, avec le patient, à la fois des conséquences objectives de cette dysconsommation (disputes conjugales, ruptures, menaces professionnelles, mise en danger de soi ou des autres, problèmes de santé…) et l’existence de difficultés pour le patient à modérer, voire interrompre sa consommation. Ce diagnostic repéré, il est important de pouvoir proposer une démarche de soins adaptée, c’est-à-dire de débuter dans un premier temps par un sevrage. Mais où le réaliser ? À l’hôpital, donc en milieu spécialisé, ou plutôt en ambulatoire, par exemple le jour même où le médecin a fait ce diagnostic de dépendance ?
Des situations précises.
De manière schématique, il est nécessaire de proposer l’hospitalisation devant quelques cas de figures précis :
- Il existe des antécédents de delirium tremens et/ou d’épilepsie au cours d’épisodes de sevrage passés (volontaires ou accidentels). La surveillance requise des premiers jours du sevrage impose alors l’hospitalisation sans aucun doute.
- Le risque suicidaire élevé. En effet, l’alcool favorise les passages à l’acte et la dépression. La dysphorie étant fréquente au moment du sevrage, les sujets ayant des idées suicidaires seront hospitalisés pour améliorer observation et soins fournis.
- Les comorbidités font classiquement partie des critères d’hospitalisation, qu’elles soient psychiatriques (dépressives ou anxieuses surtout), somatiques ou addictives. Dans un même registre, l’utilisation de substances sédatives, au long cours ou avec abus (benzodiazépines), est plus prudente (double sevrage) et potentiellement plus efficace, à l’hôpital.
- Les deux indications suivantes sont moins systématiques, mais ont un certain rationnel. Tout d’abord les sujets ayant un isolement psychosocial majeur ou un environnement ressenti comme particulièrement difficile, gagneront à une mise à distance de leur lieu de vie. De même, après plusieurs échecs de sevrage réalisés en ambulatoire, il est important de proposer des stratégies alternatives, dont l’hospitalisation.
Les centres addictologiques de grade III
La question ambulatoire versus hospitalier se pose peut-être différemment depuis la création des centres addictologiques de grade III, qui requièrent une prise en charge d’abord en ambulatoire (comprenant plusieurs évaluations), avec possibilités d’hospitalisation (adossée à une activité d’enseignement et de recherche) et d’un hôpital de jour (qui puisse maintenir le lien thérapeutique pendant un temps qui dépasse la courte hospitalisation de sevrage). Il existe dorénavant plusieurs lieux de ce registre en France. Notre expérience locale témoigne combien ce type de structures peut être utilisé en parfaite harmonie avec les médecins qui y adressent leurs patients dépendants, facilitant un travail multidisciplinaire, approche particulièrement importante pour la prise en charge globale de cette pathologie complexe et multifactorielle qu’est l’alcoolo-dépendance.
Dans ce type de structures, les patients sont évalués au niveau somatique (gastro-entérologue), neurocognitif (psychologue neuro-cognitiviste) et psychiatrique (addictologue), afin de proposer la prise en charge la plus adaptée, souvent ambulatoire pour les toutes premières démarches de soins où lorsque le déni est trop important. Assez souvent, l’hospitalisation est requise à un moment spécifique du parcours du patient, ce qui permet alors, dans un deuxième temps, la rencontre avec des soins particuliers (groupes de parole, associations, séances psycho-éducatives, art-thérapie, psychomotricité, accueil des proches, bilan de l’assistante sociale…). Ce court sevrage hospitalier peut donner lieu à une période de consolidation de plusieurs semaines (1 à 4 mois) en hôpital de jour, qui amortit le risque important de rechute suivant le sevrage hospitalier. Il est tout aussi important de ne pas interrompre brutalement l’aide cadrante de l’hôpital de jour par une consolidation amenant le patient vers six mois d’abstinence, période à partir de laquelle le risque de rechute diminue significativement, sans disparaître néanmoins.
*CMME (Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale), Centre Hospitalier Sainte-Anne et Université Paris-Descartes.
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