LES RÉTICENCES à parler d’une dépendance à l’alcool ne sont pas forcément là où l’on croit. « Les barrières sont davantage du côté des soignants que des patients », explique pour le « Quotidien » le Pr Michel Lejoyeux, chef de service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat (Paris), coordinateur d’une étude sur la validité du questionnaire CAGE (lire encadré) pour dépister un alcoolisme. « La prévalence de l’alcoolisme est très forte dans la population générale, près de 1 patient sur 10 dans notre étude menée en service d’urgences. Si vous restez neutre, étayant et soutenant, les patients qui sont venus consulter pour un tout autre sujet répondent aux questions ».
Le principe d’un dépistage systématique permettrait ainsi d’aborder la question plus facilement, de façon décomplexée et sans a priori. « Il faut se garder de deux écueils, poursuit le spécialiste. Celui de rester dans le déni, "je ne vais pas l’embêter avec çà", et l’autre d’être dans la moralisation et la culpabilisation. L’idée est d’en parler comme vous le feriez d’une autre maladie, de façon la plus médicale possible ». Pas question donc de vouloir faire « avouer », ni d’être sur le mode de la « punition ». La relation à l’alcool devient un élément à fournir dans les antécédents au même titre que l’est une autre dépendance fréquente, le tabagisme. La démarche d’interrogatoire concerne tous les médecins, généralistes, urgentistes ou spécialistes. « Le questionnaire CAGE viendrait remplacer les classiques indicateurs du niveau de consommation d’alcool, compliqués et difficiles à interpréter. Mieux vaut se concentrer sur la relation à l’alcool. »
Une prévention précoce
Le questionnaire CAGE élaboré en 1984 ne date pas d’hier. Malgré sa simplicité, la communauté médicale lui a longtemps préféré le questionnaire AUDIT, composé de 10 items. L’étude française menée dans trois centres, Bichat (Paris), Cochin (Paris) et Charles Perrens (Bordeaux), sur plus de 1 000 patients consécutifs ayant consulté aux urgences au cours d’une période de 6 mois montre pourtant que le questionnaire CAGE est certes un peu moins sensible qu’AUDIT (75 % versus 80 %), mais plus spécifique (92 % versus 80 %).
« Nous avons attaché beaucoup d’importance dans la méthodologie à ce que ce soit le même investigateur pour les trois centres », précise le Pr Lejoyeux. Tous les patients âgés de 18 ans au moins consultant aux urgences étaient sollicités sans aucune présélection. Chaque participant était invité à répondre aux deux questionnaires, AUDIT et CAGE, ainsi qu’à une liste spécifique de questions (Mini International Neuropsychiatric Interview) afin que le diagnostic corresponde aux critères de référence du DSM-IV-TR. Les entretiens étaient réalisés à la suite sur une large plage horaire, de 9 heures du matin à 19 heures.
Toucher le plus grand nombre.
L’étude a permis d’identifier des populations à risque d’alcoolisme. Parmi les profils fréquents, il s’agissait davantage d’hommes jeunes, sans emploi, ayant pris davantage d’arrêts maladie, fumeurs de cigarette ou de cannabis ou présentant une autre dépendance. « Pas question pour autant de cibler le dépistage, insiste le psychiatre. Compte tenu de la prévalence élevée, l’idée est de toucher le plus grand nombre en y consacrant peu de temps ». L’objectif de la prévention est d’intervenir avant les complications physiques. « Avec le questionnaire CAGE, la dépendance physique n’est pas un critère indispensable pour le diagnostic, fait remarquer le Pr Lejoyeux. Il s’agit d’arriver bien avant ce critère de gravité et d’aider les patients à se libérer, ce que la société est loin d’encourager comme elle le devrait ».
International Journal of Emergency, publicaiton de juin 2011.
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