LE QUOTIDIEN : Pourquoi vous adressez-vous aujourd'hui, dans votre combat contre le tabac, aux professionnels de santé ?
MICHÈLE DELAUNAY : Je pense profondément que rien de décisif ne se fera dans la lutte contre le tabac sans l'engagement de l'ensemble des professionnels de santé. Arrêter de fumer est une terrible épreuve, le tabac étant plus addictif que l'héroïne. Les patients doivent être accompagnés et encouragés sur la durée, par tous les acteurs.
Chacun des professionnels de santé doit se sentir dépositaire d'une part de responsabilité. Ils ont toute crédibilité auprès des Français (bien plus que les politiques ou les médias !) ; nous devons utiliser cette force considérable et j'espère que l'adhésion sera la plus large (100 000 professionnels, c'est un sur 10) et rapide possible, comme si un corps entier, une réserve soignante, se levait.
Au-delà des clivages partisans, cet appel devrait permettre de lutter contre les idées reçues, comme celle qui voudrait que le gouvernement baisse la garde tant la manne financière serait importante. C'est faux : le coût sanitaire du tabac (près de 26 milliards d'euros par an) est le double des recettes. L'initiative entend aussi interpeller les responsables politiques sur des questions précises. Si 100 000 professionnels de santé se mobilisent, l'on peut espérer que, se sachant soutenus, les élus prennent des décisions courageuses.
Que doivent dire les soignants à leurs patients ?
Nos professionnels de santé sont souvent trop timides lorsqu'ils évoquent le problème du tabac et ils manquent de temps. Certes il est difficile de dire à une veuve : « votre mari est mort du tabac, non du cancer ». Mais les cancérologues doivent avoir ce courage : il n'y a pas une pathologie où le tabac n'ait une influence nocive. J'étais dermatologue cancérologue : même pour le mélanome, des études montrent que le pronostic est moins bon chez les fumeurs.
Les pneumologues n'hésitent pas à en parler - 85 % de leurs malades n'ont d'autre remède que l'arrêt du tabac. Mais je pense aussi à l'infirmière, aux kinésithérapeutes, à l'aide-soignant, à la sage-femme… Tout le monde doit s'impliquer. Ainsi, nous pourrons toucher aussi les plus précaires, peu sensibles à des affiches ou plaquettes d'information. Seuls comptent la répétition et le lien de confiance avec les soignants.
Et les généralistes ?
C'est le nœud gordien. Ils doivent avoir conscience que le tabac est le problème de santé publique numéro 1, causant 78 000 morts par an, 220 décès par jour, et partant, s'engager à ce qu'aucun patient ne sorte de leur cabinet sans que le problème du tabac n'ait été évoqué, sans prodiguer des recommandations, ou remettre une ordonnance prescrivant une consultation de tabacologie. Les médecins traitants n'ont pas à douter du pouvoir d'une ordonnance, ni de leur rôle de magister.
Comment les sensibiliser ? La nouvelle convention, avec une ROSP* incluant des indicateurs liés au tabac, est-elle un levier suffisant ?
Elle a le mérite d'exister.
Vous êtes rapporteure du volet maladie du PLFSS 2017, qui prévoit une augmentation de 15 % de la fiscalité qui pèse sur le tabac à rouler. Allez-vous proposer d'autres mesures ?
La hausse de la fiscalité du tabac à rouler est une mesure majeure et inédite, sur laquelle on ne pourra revenir. L'ayant proposée à trois reprises sous forme d'amendement, je ne boude pas mon plaisir de la voir adopter. Certes, une véritable égalisation avec le prix des cigarettes eût été plus éloquente, mais il ne faut pas sous-estimer la dynamique. Je ne présenterai pas d'autre mesure sur le paquet de cigarettes.
En revanche, je défendrai des mesures en faveur d'une meilleure prise en charge du sevrage, étendue aux affections cardiovasculaires à l'égard desquelles l'arrêt complet du tabac est décisif. C'est en outre un levier d'économie. Nous ne sauverons la sécurité sociale qu'en réduisant fortement les maladies évitables.
*La rémunération sur objectifs de santé publique prévoit 20 points sur un total de 940 pour le médecin traitant si la part de ses patients tabagiques ayant fait l'objet d'une intervention brève telle que décrit dans l'outil HAS atteint ou dépasse les 75 %.
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