EN FRANCE, boire constitue encore la norme. Dans la mesure où la vulnérabilité face à l’alcool est variable d’un individu à l’autre, la relation de chacun avec sa consommation est un peu différente ; et d’autant plus trompeuse que l’image de l’ivrogne alcoolodépendant et désocialisé continue de dominer l’idée que nous nous faisons d’une relation pathologique avec l’alcool. Cette image n’est évidemment pas représentative des troubles de l’alcoolisation, explique Philippe Batel, chef du service d’addictologie de l’hôpital Beaujon. La dangerosité de l’alcool ne se borne pas à la dépendance mais s’étend également aux comportements dangereux qu’engendre sa consommation, même occasionnelle (accidents de la route, rapports sexuels non protégés, passages à l’acte violents) et, bien sûr, à ses conséquences somatiques (risque cardiovasculaire, risques de cancer du sein, ORL, digestifs, etc.) ; lesquelles apparaissent avec ou sans alcoolodépendance. Chez la femme, le seuil de risque somatique est franchi au-delà de 14 verres par semaine, 21 verres chez l’homme. D’usager à risque, ces consommateurs passent très vite au statut d’usagers nocifs avant de devenir parfois alcoolodépendants.
Toutes situations confondues, les troubles de la consommation, qui affectent 5 millions de personnes en France et en tuent 23 000 chaque année, continuent d’être pourtant le parent pauvre de la médecine, déplore Philippe Batel. Au point que les médecins ou les soignants qui les prennent en charge sont trop souvent considérés comme « des individus en mission, plus proches de la mère Teresa dans une version quasi humanitaire ou de don Quichotte pour l’option plus militante désespérée » et que les moyens manquent encore pour la recherche. Pourtant, nous ne manquons plus de données épidémiologiques ni de précisions sur les dégâts sociaux et les pathologies liées à l’utilisation de l’alcool, comme le développe en détail le dernier rapport de l’INSERM sur le sujet. Heureusement, les choses changent petit à petit et nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes de vulnérabilité, ceux des origines de la dépendance, tandis que de nouvelles et multiples stratégies de traitement s’améliorent.
Individualisation des projets de soins.
Le spécialiste des addictions détaille ainsi une nouvelle fois les pistes explicatives des formes pathologiques d’alcoolisation, génétiques, psychologiques, environnementales ou cérébrales, propose quelques tests pour que chacun puisse évaluer son comportement et expose les différentes modalités de prise en charge. S’agissant des traitements, Philippe Batel souligne que les progrès obtenus ces dernières années, s’ils restent modestes, sont largement comparables à ceux obtenus pour d’autres maladies chroniques graves. Et rappelle que l’individualisation des projets de soins semble une valeur sûre, avec le respect d’un projet cohérent selon le niveau de progression de la maladie alcoolique et l’état d’avancement du malade dans son processus de changement. Autrement dit, pas d’obligation d’abstinence totale en l’absence d’alcoolodépendance, pas non plus d’hospitalisation pour un sujet qui n’est pas décidé à s’arrêter. Néanmoins, la route est encore longue et beaucoup reste à faire et à trouver, conclut-il.
Philippe Batel, « Pour en finir avec l’alcoolisme », La Découverte, 214 p., 17 euros.
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