C'est une soirée d'adolescents sur la Seine. Un banal anniversaire. Où une jeune fille frôle le coma éthylique. « Elle est venue à jeun pour se saouler plus vite. C'est comme ça qu'on fait tous », explique sa copine.
C'est Cindy, qui a commencé à boire à 13 ans des mélanges alcool-jus de fruits, « pour oublier sa vie complètement naze », Julien, 29 ans, tombé dans le piège des soirées alcoolisées de son école de commerce, ou encore Evan, 21 ans, qui sait mettre en péril ses études à force de cuites. Ces jeunes gens, rencontrés dans les couloirs de l'hôpital Paul Brousse étaient « comme tout le monde ». Avant d'être aspirés par le binge drinking (consommer très vite beaucoup d'alcool). « Paradigme absolu du cynisme des lobbies », dénoncent les auteurs.
Prise de conscience
Quelle parole proférer pour protéger la jeunesse sans tomber dans l'hygiénisme, la moralisation ? « Les professionnels de santé sont restés enfermés dans les chiffres et les démonstrations », reconnaissent les auteurs. Et les lobbies n'ont pas hésité à accentuer le rôle « antijouissance » des acteurs de santé publique. « Ils font volontiers passer les addictologues et les acteurs de la santé pour des contestataires du rôle de lien historique et social joué par l'alcool », lit-on.
Le Pr Amine Benyamina et Marie-Pierre Samitier explorent une autre voie : alerter sans panique. Pas condamner, encore moins demander la prohibition, mais réveiller les consciences.
Comment ? En informant sur les conséquences sous-estimées du binge drinking sur la santé des plus jeunes : lésions dans des régions stratégiques du cerveau, neurotoxicité qui pourrait être supérieure à une consommation régulière (en raison de l'alternance répétée de périodes d'intoxications massives et de sevrages), perturbation de l'expression génique, etc. sans oublier que nous ne sommes pas égaux face à l'alcool. En cherchant à comprendre, aussi, le besoin des jeunes de faire communauté, de s'autonomiser à l'égard des parents, de défier la vie.
Le phénomène n'est ni ponctuel, ni marginal. Faire boire les jeunes est en fait une « stratégie d'investissement au long cours des lobbies », démontrent ensuite les auteurs. Le livre revient ainsi sur des années de détricotage de la loi Évin de 1991, dont le dernier coup de boutoir date de l'an passé, via l'amendement « Macron » qui, distinguant publicité et information relative à une boisson alcoolique, affaiblit considérablement la portée de la loi. Une victoire des lobbies, de leurs alliés au parlement et du ministre de l'économie Emmanuel Macron, sur les acteurs de la santé. À Paul Brousse, on parle de « catastrophe ».
Une génération sacrifiée
D'autant plus que la stratégie marketing de l'industrie de l'alcool est particulièrement agressive à l'égard des jeunes : vins sucrés (à prix imbattables), sponsorisation des soirées open bar, publicité qui détourne le sens des chiffres de la HAS, infiltration des évènements sportifs et culturels, diffusion sur les réseaux, etc. « Toute une génération sacrifiée sur l'autel du business », en résumé.
Les auteurs appellent à revoir le discours à tenir à la jeunesse : plutôt qu'une mise en garde radicale contre l'alcoolisation, proposer la mise en place de digues de protection, qui passent par l'information, la prévention et la conscience que l'alcool n'est pas un produit anodin. Et promouvoir une culture de la santé, aux côtés de la culture du vin, deux affaires de transmission et d'héritage. Il y a urgence : 50 000 personnes décèdent chaque année de l'alcool. Près de 60 % des jeunes ont déjà été ivres dans leur vie, plus d'un quart, au moins trois fois ces 12 derniers mois, et un jeune Parisien sur deux a connu un épisode de binge drinking ce dernier mois.
« Comment l'alcool détruit la jeunesse », Albin Michel, 205 pages, 15 euros.
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