1 / Quelle mortalité imputer à l’alcool ?
C’est la question préalable. Le format du plan ne saurait être le même selon l’estimation du nombre des victimes de l’épidémie silencieuse liée à l’alcool. Or il n’y a pas de consensus parmi les épidémiologistes. Deux équipes également réputées, qui travaillent l’une et l’autre pour l’INSERM, la première en 2010, sous la direction de Grégoire Rey, la seconde en 2013, sous la conduite de Catherine Hill (Institut Gustave Roussy)*, toutes deux à partir des données du CépiDC qui collationne les certificats de décès, ont conclu, l’une à 20 255, l’autre à 49 000 morts. Ce différentiel de plus de 100 % ne reflète pas l’évolution de l’alcoolisme mais le type de corrélation établi entre les causes des décès et la consommation excessive de boissons alcooliques : certaines pathologies lui sont clairement liées (cancers du tube digestif, du foie et du pancréas, maladies neurodégénératives comme l’encéphalopathie de Wernicke, ou autres myocardiopathies) d’autres causes de décès sont polyfactorielles, comme les accidents de circulation, ou les suicides, pour les causes externes, ou les épilepsies. Selon Catherine Hill, l’alcool est cause de 36 500 morts prématurées chez les hommes (13 % de la mortalité) et 12 500 chez les femmes (5 % de la mortalité totale). Ce sont ces données très péjoratives qu’a retenues le plan addictions présenté par le Premier ministre le mois dernier, alors que les chiffres continuent de faire débat aussi pour la consommation totale d’alcool, selon que l’on prend en compte les déclarations des personnes enquêtées et les chiffres de vente publiés par les alcooliers. Les statistiques de morbidité attestent cependant une augmentation sensible des hospitalisations pour ivresse et dépendance alcoolique, jusqu’à 80 % en trois ans pour les jeunes et les femmes.
*Étude CépidDC – INSERM 2010 Rey G. et all., Étude IGR 2013 : Guérin S., Laplanche A., Dunant A., Hill C. Alcohol-attributable mortality in France. European Journal of Public Health, mars 2013.
2 / Quels profils d’alcoolisation cibler ?
Si globalement, les consommations quotidiennes d’alcool évoluent à la baisse, de nouveaux comportements d’alcoolisation ponctuelle importante (API) se développent régulièrement, confirme l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies). Entre 2002 et 2010, chez les jeunes de 18 à 24 ans, l’accroissement des usages à risque a crû de 8,4 %, passant de 41,9 % à 50,3 %, avec une hausse répartie entre les risques ponctuels (+3,4 %) et chroniques (+4 %). Sur la même période, on observe une progression du risque global chez les femmes, de 3,2 % (de 14,1 % à 17,3 %)*.
Ces nouveaux profils d’alcoolisation sont corroborés par toutes les études (INCa, Nutrinet santé, baromètre Cancer), alors que les proportions de buveurs à risque chronique (9 %) et de buveurs à risque de dépendance (1,2 %) chez les 18-75 ans, sont, mesure l’OFDT, en augmentation selon une pente probablement sous-estimée, car n’incluant pas les usagers socialement désinsérés. C’est en France, note le CAE**, que les écarts de mortalité entre travailleurs manuels et non manuels restent, en même temps, les plus élevés, ce résultat étant attribuable à de fortes différences sociales de mortalité par cirrhose du foie et cancer des voies aéro-digestives.
*BEH 7 mai 2013, l’alcool, toujours un facteur de risque majeur.
*Conseil d’analyse économique, notes n° 8, juillet 2013.
3 / Quelles réponses thérapeutiques proposer ?
Alors que le débat continue pour démarquer la dépendance alcoolique de l’abus d’alcool, le Haut conseil de la santé publique estimant à 5 millions les personnes qui relèvent de l’abus, alors que deux millions d’individus seraient alcoolo-dépendants, la question de la prise en charge des consommateurs excessifs suscite un vif débat, avec deux molécules, qui enregistreraient un score notable de réduction de la consommation*, le baclofène et le nalmefène ; à la clé, c’est le dogme de l’abstention totale qui se trouve remis en cause, avec une nouvelle approche RDR (réduction des risques). Et, subsidiairement c’est toute l’organisation du système hospitalo-universitaire qui fait l’objet d’un mouvement de contestation. Alertées par la médiatisation de l’auto-expérience du Dr Olivier Ameisen, les associations s’en prennent aux spécialistes d’alcoologie, soupçonnés de bloquer ces nouvelles alternatives thérapeutiques.
*Environ 60 % de bons résultats selon les laboratoires.
4 / Quel nouveau système de prise en charge inventer ?
L’organisation de la médecine générale en France n’incite guère aux actions de prévention des consommations à risques, analyse le CAE, avec un paiement à l’acte qui ne valorise pas la démarche de dépistage et d’information. À telle enseigne que moins d’un généraliste sur quatre aborderait spontanément la question de l’alcool dans le colloque singulier. L’offre de soins hospitalière serait aussi sur la sellette : selon les dernières Journées de la SFA (Société française d’alcoologie), les hospitalisations pour API ont enregistré une hausse de 80 % en trois ans, les patients quittant le plus souvent les urgences sans suivi ; on dénombre deux fois plus d’admissions pour imprégnation alcoolique que pour le diabète ou les maladies cardiovasculaires. En l’absence d’actions de terrains ciblées autour des profils d’alcoolisation, une médecine de ville peu adaptée, des structures hospitalières saturées et des traitements controversés, c’est toute une politique antialcoolique qui reste à lancer. Un modèle organisationnel qui est à inventer. Bref, et selon les termes de la SNS (stratégie nationale de santé), c’est un système de santé qui est « à refonder en profondeur ».
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