Selon le dernier compte rendu de séance du comité technique de pharmacovigilance de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, plusieurs tentatives de suicide, parfois réussies, ont été relevées chez des patients chez qui le baclofène a été considéré comme médicament « suspect ».
Le rapport du centre régional de pharmacovigilance (CRPV) d'Amiens fait ainsi état de 3 suicides réussis et 30 tentatives ont été enregistrées au cours de la période allant de 17 septembre 2014 au 17 septembre 2015. Dans 31 cas, la tentative de suicide, réussie ou non, a été faite par overdose médicamenteuse. Quatorze tentatives ont par ailleurs été faites à l'aide du baclofène lui-même.
Le CRPV de Lille rapporte quant à lui 2 suicides réussis et 1 tentative sur les 47 cas de pharmacovigilance déclarés dans le cadre d'utilisation du baclofène hors AMM hors alcoolodépendance. « Les cas d'épisodes dépressifs, de suicides, de tentatives de suicide et de syndromes d'apnée du sommeil doivent être étroitement surveillés », insistent les rapporteurs.
Les rapporteurs préconisent l'ajout de cet effet indésirable dans le protocole de la RTU. Cette préconisation a été adoptée par le comité qui conclut sur la nécessité d'ajouter une précaution d'emploi dans le protocole de RTU concernant les patients ayant des antécédents de tentatives de suicide et de préconiser une surveillance particulière de ces patients.
Un risque bien connu
Le risque de tentative de suicide est bien connu, selon le Pr Philippe Jaury de la faculté de médecine Paris-Descartes et principale investigateur de l'essai clinique Bacloville évaluant l'efficacité du baclofène prescrit en médecine de ville. Toutefois, « l'imputabilité au baclofène est pour l'instant impossible à affirmer, explique-t-il, la plupart des psychotropes entraînent un risque accru de suicide, comme la paroxétine qui a été interdite chez les adolescents. Avec le baclofène, les patients acquièrent une indifférence à l'alcool. Certains patients réalisent qu'ils ont tout détruit. On peut imaginer qu'ils aient envie de se suicider ».
Selon le Pr Michel Reynaud, du département de psychiatrie et d'addictologie des hôpitaux universitaires Paris-Sud (AP-HP), « 80 % des alcoolo-dépendants présentent une dépression avec une possibilité d'idéation suicidaire, mais il semble qu'il y ait un risque de suicide un peu plus fréquent chez les patients sous baclofène qui n'apparaît que sur des très grandes séries ». Pour ce médecin, par ailleurs principal investigateur de l'étude Alpadir sur l'efficacité de l'utilisation du baclofène en service spécialisé, « le chiffre à retenir, c'est que la moitié des cas relevés par l'ANSM surviennent chez des patients qui ont des antécédents de tentative de suicide, soit chez des patients à qui l'on ne peut théoriquement pas faire de prescription si l'on suit le texte de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) ».
Pour le Pr Jaury, les médecins prescripteurs sont parfaitement conscients de ce risque de passage à l'acte provoquer par la levée de l'inhibition par l'alcool. « Nos internes en sont même trop conscients et ont tendance à demander systématiquement si le patient est tenté par le suicide, précise-t-il. Mais il ne faut pas hésiter à le faire puisque les études montrent que le fait de parler du suicide ne le provoque pas. »
Concernant le risque de suicide par overdose de baclofène, le Pr Jaury précise qu'il n'existe pas, à sa connaissance, « de dose léthale mais qu'il peut y avoir des accidents en cas d'association aux benzodiazépines ou aux neuroleptiques ». Il rappelle aussi que parmi les signalements faits par les hôpitaux, on trouve beaucoup « de patients qui prennent 10 cachets par jour de baclofène car ils trouvent que ça ne va pas assez vite. Ils sont souvent classés comme suicides. »
1 676 événements dans le portail ANSM
L'ANSM a par ailleurs présenté les données collectées sur les 5 000 patients inscrits via le portail électronique mis en place dans le cadre de la recommandation temporaire d'utilisation. L'agence note 1 676 événements indésirables chez 781 patients parmi lesquels 520 ont eu au moins un effet indésirable lié au baclofène. Les troubles les plus fréquents sont des troubles du système nerveux (32 %) et des troubles psychiatriques (21 %). Le nombre de patients inscrits sur le portail reste très faible, et l'ergonomie de ce dernier est abondamment critiquée par les médecins. Une procédure de simplification est en cours.
Le suivi national de pharmacovigilance du nalmefène (Selincro) a également été fait lors de cette réunion par le CRPV de Poitiers. Les rapporteurs font état de 23 cas graves de syndromes de sevrage aux opiacés chez des patients traités concomitamment par des opiacés, ce qui est interdit par les recommandations de l'AMM. L'autre principal effet indésirable relevé par les rapporteurs est l'éruption cutanée : 40 cas dont 9 graves et 3 purpuras ont été comptabilisés par le CRPV de Poitiers.
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