Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) installées à Paris et à Strasbourg ont un impact bénéfique sur les comportements à risque des usagers de drogues injectables, et en particulier sur le partage de matériel d'injection. Tels sont les résultats publiés dans la revue Addiction par l'équipe Inserm chargée d'analyser ces dispositifs dans le cadre de leur expérimentation en France. Il s'agit d'un nouveau volet d'une évaluation, qui avait déjà donné des résultats positifs en mai 2021.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs dirigés par la sociologue Marie Jauffret-Roustide se sont appuyés sur les 12 mois de suivi de la cohorte Cosinus, composée de 665 utilisateurs de drogues par injection (238 fréquentant une SCMR et 424 n'en fréquentant pas), tous inscrits dans un programme de réduction des risques, recrutés à Paris, Bordeaux, Marseille et Strasbourg. Seulement 395 sont restés jusqu'au bout du suivi qui consistait en des entretiens menés à l'inclusion, puis à 6 et 12 mois, soit une attrition de l'ordre de 41 %. « On s'attendait à avoir autant de perdus de vue, explique Marie Jauffret-Roustide. Nous avions prévu un effectif suffisamment important pour prendre ce paramètre en compte. » L'âge moyen des participants est de 38 ans, et 20 % sont des femmes.
10 fois moins de partage de seringues
Alors que 11 % des personnes n'ayant pas accès à une SCMR déclaraient avoir partagé du matériel d'injection au cours du suivi, ce n'était le cas que de 1 % de ceux qui y avaient accès. Le risque de partage de seringue est donc diminué de 90 %. Plus globalement, « les salles de consommation à moindre risque offrent un meilleur accès aux soins médicaux et psychiatriques et améliorent leur qualité de vie », écrivent les auteurs de l'étude.
Depuis la fin des années 80, les programmes de distribution de seringues et la mise à disposition de traitements de substitution ont contribué à diviser par quatre la prévalence du VIH parmi le public des injecteurs de drogue (de 40 à 11 % entre 1988 et 2011 selon les données de l'étude ANRS Coquelicot).
« La France a un excellent programme de réduction des risques financé par l'Etat avec la possibilité d'acheter des Stéribox à 1,5 euros et des programmes de distribution de seringues stériles gratuites, indique Marie Jauffret-Roustide. Toutefois, l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) signale que la couverture française en matière de seringues stériles devrait être doublée, nuance-t-elle. Lors de l'enquête Coquelicot, on avait mis en évidence qu'un tiers des usagers des Csapa* et Caruud** disent avoir des difficultés à obtenir des seringues. En Seine-Saint-Denis, c'était même 66 % des usagers. »
Selon une enquête que l'équipe de Marie Jauffret-Roustide a mené pour Médecins du Monde, les données collectées montrent une difficulté croissante à se fournir en seringues neuves en pharmacie. Ce constat pousse la chercheuse à considérer que les SCMR ont un rôle à jouer.
L'habitat précaire, un facteur de risque
« Dans nos études sociologiques et dans la littérature internationale, on observe que ce sont généralement les usagers qui ont un logement fixe, et qui ont la possibilité de ne pas s'injecter dans l'espace public, qui ont le moins recours qui partagent leurs seringues », analyse Marie Jauffret-Roustide. Dans l'étude du groupe Cosinus, il ressort que les injecteurs ayant un habitat précaire représentent 43 % des usagers de SCMR. Cela conforte l'idée que les consommateurs mal logés sont les premiers bénéficiaires d'un tel dispositif. Les usagers qui fréquentent les SCMR ont moins souvent un emploi et consomment davantage de crack et de cocaïne.
Un taux de dépistage du VHC déjà élevé en France
Plusieurs études ont montré que les SCMR sont particulièrement efficaces à l'étranger pour améliorer le dépistage du VHC. Sur ce plan-là, les SCMR françaises ne représentent pas une avancée significative. Un résultat qui ne surprend pas Marie Jauffret-Roustide : « le taux de dépistage est déjà très haut en France », souligne-t-elle.
Même constat pour ce qui concerne la prescription de traitement de substitution aux opiacés (TSO), identique dans les deux groupes alors que les salles étrangères en avaient augmenté le taux de prescription. « La grande différence, c'est que dans les autres pays, le niveau de recours aux TSO est de l'ordre de 20 à 40 %, il y avait une marge de progression, alors qu'en France, environ 85 % des usagers en prennent déjà. Nous avons le taux le plus élevé d'Europe, il aurait été difficile de faire mieux », compare Marie Jauffret-Roustide.
* centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie
** centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues
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