« Alors que c’était autrefois un phénomène exceptionnel, on voit ces derniers temps les consultations d’addictologie pour les plus de 50-60 ans augmenter de façon très régulière », témoigne le Dr Jean-Michel Delile, addictologue et gérontologue, directeur du Comité d'étude et d'information sur la drogue à Bordeaux.
Or, le repérage de ces comportements peut se révéler difficile chez les seniors ; les familles et professionnels n’y pensent pas nécessairement, ont parfois tendance à les « tolérer » à titre « compassionnel », sous-estimant ainsi leur impact négatif.
Surprescription médicamenteuse
En tête de peloton des substances addictives chez les seniors, les benzodiazépines (BDZ). En France, 30 % des personnes âgées consommerait régulièrement des BZD. « C’est dans ces tranches d’âge que l’on retrouve le plus de prescriptions à fortes doses, et au plus long cours », constate le Dr Delile, qui cite les risques associés de chutes traumatiques et de fractures, d’altérations cognitives et comportementales, voire d’évolution démentielle. Fin 2015, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) mettait une nouvelle fois en garde les professionnels contre la surprescription de BZD chez les personnes âgées. « Le phénomène est sous-évalué de la part des prescripteurs, donc une bonne partie de la solution réside du coté de meilleures pratiques de la part des professionnels », ajoute le Dr Delile. Les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) consistent à favoriser, si possible, des traitements alternatifs aux BZD, les prescriptions courtes, les formulations à demi-vie courte et un sevrage progressif.
Le seul dernier petit plaisir
Autre substance addictogène – l’alcool. « De manière générale, on voit les consommations quotidiennes de boissons alcoolisées augmenter avec l’âge, rapporte le Dr Delile. Il ne s’agit pas d’une recherche d’ivresse ou d’excès, mais plutôt d’une volonté d’alléger les souffrances physiques ou psychiques liées aux maladies, à la disparition de proches, mais aussi à l’ennui… » Le praticien dit entendre régulièrement les familles des patients, ou des collègues, lui confier : « C’est son seul dernier petit plaisir… » ou alors « pourquoi l’embêter ? De toute façon il n’en a plus pour très longtemps ». Mais il ne s’agit pas pour le médecin de changer les comportements de manière radicale, précise-t-il, « sauf s’il y a une pathologie externe qui contre-indique la boisson ». Il préconise plutôt de poursuivre la réduction des risques et d’accompagner le patient dans le dialogue, car les risques associés à la prise d’alcool sont proches de ceux liés à la prise de BZD.
Addictions émergentes
Phénomène surprenant – depuis quelques années, les seniors viennent de plus en plus consulter pour des problèmes de dépendance à des substances illégales. Par exemple, pour une addiction au cannabis : « À l’époque c’était complètement atypique ! Maintenant, en moyenne au niveau national, les personnes âgées représentent plus de 20 % des files actives », fait-il remarquer. Autre exemple : les seniors sous héroïne ou sous traitement de substitution. « Mieux pris en charge médicalement, ce sont les jeunes addicts de l’époque qui ont tout simplement vieilli », indique le spécialiste. Le Dr Delile souligne également l’apparition de patients sous l’emprise d’une addiction aux jeux : « Ils présentent des facteurs de vulnérabilité habituels qui se sont manifestés tardivement, suite à un phénomène déclenchant, comme la perte statutaire liée à la retraite, la monotonie, l’ennui… Et ça peut être un désastre, avec une perte de contrôle totale. » Or, dans ce cadre aussi, l’addiction est souvent cachée. « Les personnes âgées peuvent se sentir très honteuses, surtout quand il s’agit du patriarche responsable de la famille ! Du coup, c’est encore plus stigmatisant », explique le Dr Delile, qui conclut : « Au final tout cela contribue à en faire une épidémie cachée. Certes une "petite" épidémie, mais une épidémie quand même. »
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?