EN FRANCE, le texte de référence en matière de politique publique de lutte contre les drogues est la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses. Alors que cette loi entrait dans sa quarantième année, de multiples voix, au niveau national et international, se sont élevées pour dénoncer les limites sanitaires et sociales des politiques trop répressives à l’encontre des usagers de drogues. Au dernier congrès mondial sur le sida, des chercheurs de premier plan, parmi lesquels le prix Nobel de médecine, Françoise Barré-Sinoussi, ont, dans une déclaration solennelle, dite déclaration de Vienne, alerté les gouvernements et l’opinion sur le risque d’une épidémie d’infections virales (VIH/sida, virus des hépatites B et C) en forte progression dans plusieurs régions du monde au sein de la population des usagers de drogues. En France, le débat s’est surtout focalisé sur l’ouverture, à titre expérimental, de centres d’injection supervisés, communément appelés, souvent par ses détracteurs, « salles de shoot ». L’intensité de ces débats a d’ailleurs conduit députés et sénateurs à s’emparer de la question et à mettre en place une mission commune d’information sur les toxicomanies.
Progrès et limites.
C’est dans ce cadre qu’a été entendu hier le Conseil national du sida représenté par son vice-président, le Dr François Bourdillon. Les parlementaires ont eu la primeur des conclusions des travaux réalisés dans le prolongement d’une journée d’étude organisé par le conseil en novembre 2010.
Dans sa note valant avis, le CNS souligne que la réduction des risques en direction des usagers, reconnue en France depuis la loi d’août 2004 relative à la santé publique, « vise à prévenir la transmission des infections, la mortalité par surdose de drogue intraveineuse et les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie par des substances classées comme stupéfiants ». Cette stratégie, conçue dans les années 1990, repose sur l’information, sur l’accès au matériel d’injection stérile (seringue en vente libre, Stéribox, programme d’échange de seringues) et sur la diffusion des traitements de substitution aux opiacés (TSO). Elle a permis « un ralentissement de la progression de l’épidémie d’infection à VIH au sein de la population des usagères et usagers de drogue », note le CNS. La prévalence du VIH parmi les usagers de drogue par voie intraveineuse est passée de 15 % au début des années 2000 à 7 % en 2008 et le nombre annuel de nouvelles infections s’est stabilisé à 70 entre 2000 et 2008.
Ce constat positif « doit toutefois être nuancé », tempère le CNS. D’une part, les politiques relatives aux drogues « n’ont pas entraîné de diminution de leur usage », que ce soit pour le cannabis, en légère hausse depuis les années 2002-2003 que pour la cocaïne dont l’usage ne cesse de s’élargir ou l’héroïne de plus en plus disponible et expérimentée. D’autre part, « les politiques publiques n’ont pas permis d’améliorer significativement la situation des usagers de drogues », en particulier chez les plus vulnérables, les populations en situation de précarité, les jeunes, en particulier les primo-injecteurs, les femmes et les détenus.
Le CNS rappelle que, parmi les usagers de drogues, le taux de nouvelles contaminations par le VIH/sida est 18 fois supérieur à celui de la population du même âge hétérosexuelle. De même, l’exposition au VHC « demeure extrêmement forte » : certaines données montrent une prévalence du VHC de 60 % parmi des usagers ayant sniffé ou effectué une injection une fois dans leur vie. L’usage de drogues par voie intraveineuse restait en 2007, la première source de contamination par le VHC.
La situation dans les établissements pénitentiaires est particulièrement préoccupante, avec une prévalence de 1 % pour le VIH, 3 % pour le VHB et 7 % pour le VHC, alors que les pratiques d’injection sont avérées en détention et que l’accès aux dispositifs de réduction des risques y est limité. Seul l’accès à l’eau de Javel est possible et « sa distribution n’est pas systématique ».
Immobilisme préoccupant.
En conséquence, le CNS juge les politiques répressives « coûteuses et inefficaces au plan sanitaire ». Le coût de ces politiques, estimé à partir des crédits votés dans le cadre de la loi de finances de 1995, s’élevait à 588,84 millions d’euros. « Aujourd’hui, il est à craindre que le coût de la politique répressive n’ait très fortement augmenté », affirme le CNS. En comparaison, le coût de la prise en charge et de la réduction des risques des usagers de drogues a été estimé à291 millions en 2009.
Le Conseil dénonce par ailleurs un « immobilisme préoccupant » face aux nouveaux enjeux. Les pouvoirs publics « peinent à mettre en place des programmes d’échanges de seringues en milieu carcéral et sont réticents à autoriser de nouvelles stratégies ayant pourtant montré leur efficacité dans d’autres pays, comme les centres d’injection surpervisés (CIS) ou la prescription d’héroïne médicalisée », regrette le CNS, qui souligne la nécessité de renforcer et de diversifier « à très court terme » les dispositifs sanitaires et sociaux, notamment l’offre de réduction des risques infectieux. Il recommande aussi de procéder à l’évaluation de l’impact réel des politiques répressives. « Contrairement aux centres d’injection, qui ont déjà été évalués et ne sont pas mis en place, ces politiques ne l’ont jamais été », explique au « Quotidien » le Dr Bourdillon. Le CNS invite enfin les pouvoirs publics à une reformulation de la loi de 1970 : « Moins de répression et plus de soins », résume le Dr Bourdillon.
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