À peine installée au ministère de la Santé, Agnès Buzyn promettait de ne pas imposer, verticalement, une grande loi à son nom mais de co-construire les solutions avec les professionnels et les usagers.
Dont acte. Lundi 18 septembre, en guise de stratégie nationale de santé (SNS), la ministre a donné le coup d'envoi des travaux, fixant les quatre priorités – prévention et promotion de la santé, lutte contre les inégalités sociales et territoriales, qualité des soins, et innovation – et sa méthode, fondée sur une large concertation (voir ci-contre). Un modus operandi sans tambour ni trompettes qui a suscité, chez les médecins qui en avaient pris connaissance, des réactions allant de l'espoir à la méfiance.
« Toute la difficulté réside dans la concrétisation d'une stratégie de prévention. Nous voyons dans cette concertation un espace de débat possible, et l'opportunité d'un changement », veut croire le Pr Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique.
« Ça change, reconnaît aussi le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre national des médecins, échaudé par les années Touraine. La ministre souhaite renouer le dialogue et élaborer un projet avec les professionnels. » Mais que se passera-t-il ensuite ? « C'est le quatrième épisode de concertation en 12 ans, après la loi Hôpital, patients, santé et territoires, la première stratégie nationale, la loi de santé et la conférence nationale de santé », énumère le généraliste, qui reste très prudent. « Nous attendons du ministère qu'il aille vers les acteurs de terrain et ne se limite pas aux grandes institutions », ajoute Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addictions.
La prévention, cap qui fait consensus
Les acteurs de la santé publique ne boudent pas leur plaisir, saluant la priorité accordée à la prévention et à la promotion de la santé, avec l'espoir que le fameux « virage préventif » prendra enfin corps – les lois de 2004 (santé publique), 2009 (HPST) et 2016 (santé) ayant déjà mis ce sujet à l'ordre du jour. En vain, selon eux...
« C'est la première fois qu'on lit une telle volonté politique en faveur d'une stratégie centrée sur la prévention et la jeunesse », se réjouit le Pr Michel Reynaud, président du Fonds actions addictions. « Avec la priorité faite à la promotion de la santé et non plus au tout curatif, on se dit que les bases sont là », salue aussi le Dr Alain Rigaud, de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA). « L'approche par déterminants de santé avec un ciblage fort sur l'alcool, l'alimentation et le tabac, est cruciale », se félicite le Pr Loïc Josseran, professeur de santé publique et président de l'Alliance contre le tabac.
Face aux lobbies
Mais le chemin risque d'être périlleux. « Nous nous attendons à une guerre longue contre le lobby viticole qui cherche à entraver les campagnes de santé publique », met déjà en garde le Pr Reynaud. Même esprit pugnace du côté de l'Alliance contre le tabac, qui salue la volonté ministérielle de porter le prix du tabac à 10 euros en 2020, mais craint que le rythme de la hausse (qui pourrait être d'un euro en 2018 puis 0,50 euro tous les six mois) compromette les bénéfices pour la santé publique. « La volonté des autres ministres est réelle », a tenté de rassurer Agnès Buzyn.
Le financement de la prévention est source d'inquiétude. « Nous espérons que la proposition du HCSP d'un fond dédié sera reprise car aujourd'hui, les financements sont morcelés entre les guichets, ce qui complique le pilotage », insiste le Dr Alain Rigaud.
Des libéraux sans garantie
Du côté de la médecine de ville, les avis tendent vers le scepticisme, voire la déception. S'ils saluent volontiers la concertation, les principaux syndicats réclament des mesures concrètes, lisibles et financées.
Le SML applaudit le choix de placer la prévention au cœur de la SNS, objectif partagé par le syndicat qui demande des consultations longues majorées. Mais à quelle sauce la médecine libérale sera-t-elle mangée ? Agnès Buzyn sera-t-elle capable de sortir du modèle du « tout-hôpital » ? Alors que les arbitrages se profilent sur l'ONDAM 2018 (objectif national de dépenses maladie), la CSMF juge impératif de recentrer le système de santé sur les soins de ville tandis que MG France plaide pour un investissement massif sur les soins primaires. Or, aucune assurance n'a été donnée en ce sens.
Plus radicale, l'Union française pour une médecine libre (UFML) réserve un accueil glacial à la méthode. Selon son président, le Dr Jérôme Marty, le compte n'y est pas. « Ce sont des Etats généraux qui doivent déterminer la stratégie nationale de santé et non pas des cabinets ministériels avec une concertation apparaissant comme théâtralisée », tranche la structure. La FMF presse la ministre « d'arrêter de jouer la montre » et « d'oser une réforme que le pays attend pour organiser les soins ».
Pour l'Ordre des médecins enfin, nombre de questions restent en suspens : le statut des professionnels, le décloisonnement ville/hôpital ou encore la formation des étudiants.
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