Le kiwi est l'exemple-type du fruit exotique. Consommé de façon courante depuis plusieurs dizaines d'années, il est même cultivé en France depuis 1965, en climat montagnard, dans la région de l'Adour. Le kiwi, originaire de Chine (province de Shaanxi), fait partie de la famille des Actinidiacées et du genre Actinidia. On dénombre plus de 30 espèces qui poussent facilement sous forme d'arbres à lianes pouvant atteindre 10 mètres de haut, et qui comportent en particulier Actinidia chinensis (angl. : chinese gooseberry), Actinidia deliciosa, Actinidia arguta (kiwaï), Actinidia eriantha, etc. La peau du fruit est brune, poilue, avec une pulpe de saveur sucrée, de couleur verte (plusieurs nuances) ou jaune, comportant des graines comestibles. Le kiwi est surtout riche en vitamine C, mais il contient aussi des vitamines A et E, du calcium, de l’acide folique et des fibres. Également appelé groseille de Chine, il est consommé tel quel, en salades, gâteaux, sirops, sorbets (etc.). Les allergies alimentaires (AA) au kiwi ont été décrites à partir de 1970-1980.
Des symptômes modérés à sévères
Modérés à sévères, les symptômes sont de plusieurs types : 1) urticaire de contact ; 2) syndrome d'allergie orale (SAO) ; 3) anaphylaxie après l'ingestion du fruit ; 4) rhinite, toux et asthme à l'épluchage ou après l'ingestion du fruit. Ils surviennent à tout âge (nourrisson, enfant, adulte) [1,2].
Lucas et al. (2) ont rapporté les caractéristiques d'une grande série de 276 patients allergiques au kiwi, âgés de 5 mois à 86 ans (38,8 ans). Ils étaient âgés de 31,5 ± 18,9 ans au moment de leurs premiers symptômes, ce qui témoigne que le retard à l'établissement du diagnostic est fréquent et souvent important. Dans cette étude, si les symptômes se limitaient souvent à un SAO banal, ils étaient sévères chez 18 % des patients (bronchospasme, cyanose et collapsus). D'ailleurs, les deux premières observations historiques d'allergies alimentaires (AA) au kiwi étaient des anaphylaxies (3,4). Curieusement, les enfants âgés de moins de 5 ans réagissaient plus souvent que les adultes à la première exposition au kiwi (p < 0,001). Surtout les symptômes sévères étaient plus fréquents au-dessous de 5 ans qu'au-delà de 15 ans (p = 0,008) [2]. Enfin, Lucas et al. montraient que l'AA au kiwi n'avait pas tendance à guérir spontanément : si le premier épisode est grave, les suivants le seront aussi (2). D'autres observations d'anaphylaxie ont été rapportées (5).
L'épidémiologie a été précisée, en particulier, chez 192 enfants scolarisés dans 150 classes toulousaines (8 écoles), âgés de 2,5 à 14 ans : le kiwi arrivait en troisième place (9 %) parmi les AA de l'enfant derrière le lait de vache (11,9 %), les œufs (9,4 %) et devant l'arachide (8,2 %), le poisson (7,8 %), les noisettes (7,8 %) et la crevette (5,3%) [6]. Chez les adolescents et les adultes, une étude mexicaine portant sur 370 patients âgés de plus de 16 ans a donné une prévalence de 6,6 %, avec principalement des SAO (7). À noter que Ozturk et Özyigit (8) ont rapporté une forme familiale d'allergie au kiwi.
L'allergie au kiwi peut se transmettre par le baiser. C'est le syndrome d'allergie induite par le baiser (SAIB) comme dans l'observation de Mancuso et Berdondini (9) : il s'agissait d'un baiser d'amour d'un partenaire ayant auparavant consommé du kiwi (9). Ces allergies par procuration sont décrites par ailleurs : tous les aliments peuvent être concernés, le kiwi, mais aussi la pomme, l'arachide, l'amande, la noisette, etc. (10).
En dehors des symptômes classiques d'allergie immédiate IgE-dépendante, plusieurs formes d'allergie au kiwi ont été décrites :
• Le kiwi a été incriminé tout récemment dans le syndrome d'entérocolite induit par les protéines alimentaires (SEIPA) chez une fillette âgée de 6 mois (léthargie, hypotonie, vomissements, diarrhée [11]), mais d'autres cas sont connus (0,5 % des SEIPA [12]).
• Certains aliments ont été mis en cause dans plusieurs cas de pancréatites aiguës comme le kiwi en 1998 (13). En dehors du kiwi, d'autres aliments ont été incriminés (moutarde, lait de vache, œuf de poule, banane, poisson) mais la physiopathologie, probablement associée à une allergie alimentaire, reste inconnue (14).
• Le kiwi est également responsable d'éruptions fixées, le plus souvent médicamenteuses (ou Fixed Drug Eruption [FFE]) caractérisées par des papules érythémateuses, bien circonscrites, survenant toujours au même endroit à la suite d'une exposition systémique à la cause. L'une des causes peut être un aliment, dont le kiwi dans sa variété Actinidia arguta (hardy kiwi) très consommé en Corée, au Japon et en Chine (15). Dans l'observation de Sohn et al. (15), le FFE fut confirmé par un test de provocation par voie orale (TPO) et une biopsie cutanée.
• Des cas d'urticaire de contact IgE-dépendantes, le plus souvent sur une peau présentant des lésions de dermatite atopique ont été décrits (16). L'allergène responsable est thermolabile, détruit par la digestion. Il s'agit d'une protéine native qui est un allergène autre que les 13 déjà connus du kiwi, ne présentant pas de réactivité croisée avec le latex, le bouleau, les profilines et les protéines de transfert lipidique (16).
• Des asthmes professionnels induits par la papaïne contenue dans certains fruits comme le kiwi (également la figue). L'observation de Jiang et al. (17) concernait un homme de 53 ans, atopique, atteint de rhinite allergique, dont les symptômes d'asthme débutèrent 5 ans plus tôt lorsqu'il commença à travailler dans une firme d'alimentation utilisant la papaïne comme attendrisseur. Peu de temps après il développa des symptômes oraux et pharyngés (prurit de la bouche, de la langue, angio-œdème après l'ingestion de kiwi et de figue). Le diagnostic fut confirmé par la positivité du dosage des IgE sériques (IgEs) dirigées contre le kiwi (2,95 kUA/L), la papaïne (>100 kUA/L) et la chymopapaïne (95 kUA/L). Parmi 13 patients de la littérature, allergiques à la papaïne et atopiques, 85 % (11/13) se sensibilisent à la papaïne par voie inhalée et 4 % (4/11) voie digestive (17).
Une dizaine d'allergènes
On dénombre plus d'une dizaine d'allergènes du kiwi. L'actinidine (Act d 1), enzyme protéolytique, de PM 30 kDa, est considérée comme l'allergène principal, identifié par Pastorello et al. (18) comme l'allergène majeur du kiwi, une protéine de 30 kDa qui est l'actinidine (Act d 1), enzyme protéolytique de la classe des thiol-protéases. Les autres allergènes sont Act d 2 (Thaumatine like Protein, TLP) qui est un allergène majeur, Act d 4 (cystatine), Act d 5 (kiwelline), Act d 7 (pectine estérase), Acr d 8 (protéine Bet v 1 like), Act d 9 (profiline), Act d 10 (protéine de transport lipidique) et Act d 11 (la protéine majeure du latex qui est- une chitinase de classe 1). Le kiwi jaune (Actinidia chinensis, angl. : gold kiwi) est aussi allergénique que le kiwi vert (Actinidia deliciosa, angl. : green kiwi) [19].
Un diagnostic délicat
Le diagnostic de l'allergie IgE-dépendante au kiwi est basé sur l'histoire clinique et la positivité des prick-tests (PT).
On utilise le « Prick plus Prick » (PpP) ou « PT natif » : piqûre de la chair du kiwi puis PT de la peau du patient. La sensibilité est de 95 à 100 %, mais la spécificité est faible (moins de 40 %) car il existe de nombreuses sensibilisations croisées avec le latex, les pollens de bouleau, ceux des graminées et de l'armoise, la pomme. Et le dosage des IgEs n'est pas fiable car, si la spécificité est de 100 %, la sensibilité n'est pas bonne (autour de 50 %) et les allergènes commerciaux sont souvent dégradés pendant la phase d'extraction des allergènes (20). Le TPO demeure le test diagnostique de référence. Le dosage des IgEs (ImmunoCAP-Phadia Thermoscientific) contre Actinidia chinensis est f84.
S'agissant des composants allergéniques, on peut doser les IgEs de façon unitaire contre le recombinant rAct d 8 et contre la PR-10. Dans la puce ISAC on peut doser les IgEs contre l'actinidine (nAct d 1), la protéine thaumatine like (nAct d 2), la kivelline (nAct d 5), la protéine PR-10 (nAct d 8).
Les deux principaux phénotypes de l'AA au kiwi sont le SAO et l'anaphylaxie. Pour le SAO, le plus souvent associé à une allergie aux pollens de graminées ou de bouleau, le dosage des IgEs est positif vis-à-vis de Act d 8, mais il peut exister des variations régionales, par exemple en Italie avec présence d'IgEs contre Act d 9 et allergie associée au melon ou à la tomate. Au cours des réactions généralisées (anaphylaxie) il existe en général une sensibilisation isolée à Act d 1 (actinidine). Les allergies croisées sont fréquentes : 1) jusqu'à 40 % des allergiques au latex peuvent être allergiques au kiwi ; 2) ce pourcentage est encore plus élevé pour les patients allergiques à d'autres fruits (avocat, banane, châtaigne, litchis) fréquemment en cause chez les allergiques au latex (20).
Finalement, Juchet et Chabert-Broué proposent de réaliser les examens suivants : 1) PpP au kiwi natif, à la pomme crue et à la pomme cuite ; 2) PT au latex, à l'avocat, à la banane, à la châtaigne, aux pollens de graminées et de bouleau ; 3) dosage unitaire des IgEs dirigées contre le kiwi (f84), rAct d 8 (protéine PR10), rHev b 11 (chitinase), rHev b 8 (profiline), rPru p 3 (protéine de transfert lipidique), rHev b 6 (hévéine) ; 4) éventuellement puce ISAC pour doser les IgEs contre nAct d 1 et nAct d 2) ; 5) TPO pour être certain du diagnostic (sur avis allergologique et en milieu spécialisé) [20].
Conduite à tenir
L'allergie au kiwi n'ayant pas spontanément tendance à guérir, la conduite à tenir serait de traiter le SAO de façon symptomatique (antihistaminiques H1, si besoin) et d'éviter le kiwi sous toutes ses présentations dans les formes sévères (anaphylaxie).
Une immunothérapie par voie sublinguale pourrait se discuter ou, plus exactement, une immunothérapie par voie orale (ITO) dont il existe au moins un exemple dans la littérature (21).
Une jeune femme de 29 ans avait développé à plusieurs reprises des symptômes d'allergie au kiwi dont 3 épisodes d'anaphylaxie, et cela avec une dose réactogène très faible. Le dosage des IgEs était positif au kiwi (28 kUA/l) et les IgE du patient réagissaient avec la protéine de 30 kDa identifiée comme l'actinidine (Act d 1) [21].
Devant la gravité du tableau et l'impossibilité d'une éviction stricte, Mempel et al. (21) ont réalisé une ITO par voie sublinguale, conduite de façon progressive depuis une dose de 0,1 ml à la dilution de 10-4 à raison de 3 doses/j jusqu'à atteindre 1 ml de l'extrait de kiwi non dilué. On a observé l'apparition d'IgG4 contre le kiwi, traduisant l'efficacité immunologique de l'ITO, et une diminution de la positivité des PT (21,22). L'ITO fut effectuée pendant 5 ans avec 1 cm3 de kiwi (21,22).
Un chauffage possible
20 enfants âgés en moyenne de 9,4 ans allergiques au kiwi ont bénéficié de TPO en double aveugle contre placebo avec du kiwi homogénéisé chauffé à 100°C pendant 5 minutes (23). Aucune réaction ne fut observée au cours de ces TPO sauf chez un seul enfant. Les immunoblotts montrèrent que tous les enfants avaient des IgEs dirigées contre le kiwi frais, et un seul contre la préparation homogénéisée et chauffée. L'homogénéisation et le chauffage du kiwi peuvent donc permettre à des enfants allergiques de consommer le fruit dépourvu de ses allergènes thermolabiles (23).
Pneumopédiatre allergologue
(1) Rancé F, Dutau G. Allergie alimentaire au kiwi chez l’enfants Rev Fr Allergol 1992; 32(4):203-6
(2) Lucas JSA, Grimshaw KEC, Collins K, et al. Kiwi fruit is a significant allergen and is associated with differing patterns of reactivity in children and adults. Clin Exp Allergy 2004;34:1115-21.
(3) Fine AJ. Hypersensitivity to kiwi fruit (Chinese gooseberry, Actinidia sinensis). J Allergy Clin Immunol 1981;68(3):235-7.
(4) Falliers CJ. Anaphylaxis to kiwi fruit and related « exotic » items. J Asthma 1983 ; 20(3):203-6
(5) Gawronska-Ukleja E, Rozalska A, Ukleja-Sokolowska N, et al. Anaphylaxis after accidental ingestion of kiwi fruit. Postepy DermatolAllergol 2013;30(3):192-4.
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(8) Ozturk AB, Özyigit LP. Familial kiwi fruit allergy. Allergol Int 2015;64(2):190-1.
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(10) Dutau G, Rancé F. Le syndrome des allergies induites par le baiser. Rev Fr Allergol 2006;46(2):80-4.
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(20) Juchet A, Chabbert-Broué A. Allergie au kiwi. https://www.doc-developpement-durable.org/file/Arbres-Fruitiers/FICHES_… (consulté le 20 mai 2019).
(21) Mempel M, Rakoski J, Ring J, Olleret M. Severe anaphylaxis to kiwi fruit: immunologic changes related to successful sublingual allergen immunotherapy. J Allergy Clin Immunol 2003;111(6):1406-9.
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(23) Fiocchi A, Restani P, Bernardo L, et al.Tolerance of heat-treated kiwi by children with kiwifruit allergy. Pediatr Allergy Immunol 2004;15(5):454-8.
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