Madame V., 25 ans, a développé une urticaire généralisée avec toux et petite gêne respiratoire après avoir consommé un mélange de fruits à coque décortiqués contenant des cacahuètes et d'autres fruits secs qu'elle a du mal à identifier. Une demi-journée plus tard elle voit son médecin traitant qui lui obtient un rendez-vous rapidement avec un allergologue (sous 3 jours). En effet, si le tableau clinique comportait une urticaire généralisée, elle était associée à des symptômes respiratoires légers, ce qui doit faire redouter une anaphylaxie. Elle a d'ailleurs reçu une injection d'adrénaline IM prescrite par le médecin du service d'urgences où elle s'était rendue immédiatement. Elle indique à son médecin traitant les résultats de la consultation et de l'exploration allergologique : « Voici la lettre de l'allergologue. Vous aviez raison, je suis sensible aux arachides mais je suis surtout allergique à la noix du Brésil ! Comme j'ai aussi un peu d'asthme, l'allergologue m'a dit qu'il fallait faire très attention. Regardez sa lettre. Je suis très inquiète ».
Une allergie peut en cacher une autre
Quand cette jeune femme a consulté, après une urticaire généralisée avec toux et une raucité de la voix, apparemment sans sifflements à l'auscultation du thorax, c'est l'allergie à la cacahuète qui a d'abord été suspectée (2). Adeline V. avait en effet indiqué qu'elle avait déjà eu, à trois reprises, des picotements de la bouche et du pharynx, c'est-à-dire un syndrome d'allergie orale (SAO) lorsqu'elle consommait des cacahuètes, mais ces symptômes n'étaient pas constants. En raison de la toux et de la sensation de gêne respiratoire ressentie par la patiente, le praticien l'avait gardée en observation 45 minutes après lui avoir injecté de l'adrénaline IM (une dose de 0,30 mg) ainsi qu'une dose de 40 mg de prednisone, et constaté la régression de l'urticaire et la disparition de la toux.
La lettre de l'allergologue indique : prick test (PT) à l'arachide fraîche (papule 4,5 mm), dosages positifs des IgE spécifiques (IgEs) contre l'arachide et le recombinant rAra h8 (18 kUA/L), négatif vis-à-vis des recombinant rAra h 1-3 (< 0,35 kUA/L). Or, si la positivité des IgEs contre Ara h1-3 est associée à une allergie certaine (et grave) à l'arachide (3), celle des IgEs contre Ara h 8 est quant à elle associée à des symptômes légers, de type SAO comme celui que présentait la patiente, ou traduit même la possibilité de tolérer l'arachide sans symptômes (4). Ces résultats plaident donc en faveur d'une allergie légère ou de l'absence d'allergie à l'arachide.
Dans une étude suédoise portant sur 265 enfants, un profil « Rast Ara h 8 positif (>0,35 kU/l) – Rast Ara h 1-3 négatif (<0,35 kU/l) » fut observé chez 60 d'entre eux (22,6 %) [3]. 28 enfants (moyenne IgEs : 23,3 kU/l) consommaient déjà des cacahuètes. Sur les 25 patients qui acceptèrent le test de provocation oral (TPO) à l'arachide (moyenne IgEs : 19 kU/l), 16 (64 %) n'eurent aucun symptôme, et les 9 autres (36 %) ne présentèrent que des symptômes légers à type de SAO (5).
Compte tenu des circonstances d'apparition de l'urticaire - après la consommation d'un mélange de fruits secs décortiqués dans un plat -, l'allergologue pense à la possibilité d'une allergie à d'autres fruits à coque. Le PT à la noix du Brésil est alors fortement positif (11 mm) ainsi que les IgEs (87,75 kUA/L). Les autres fruits testés (amande, noisette, noix de pécan et de cajou, pistache, pignon de pin) sont négatifs.
Une contamination allergénique
Les symptômes de cette patiente sont expliqués par une contamination allergénique entre les fruits décortiqués, en l'occurrence entre l'arachide (ou autres fruits secs) et la noix du Brésil. Dans une série de 5 cas, l'allergie alimentaire à la noix du Brésil n'avait pas été d'emblée repérée chez 2 patients qui avaient consommé des mélanges de fruits secs (5), l'allergie étant attribuée dans un premier temps à l'amande et/ou la noisette. La contamination peut être due au mélange ou au casse-noix utilisé pour ouvrir ces fruits secs (5).
L'allergie à la noix du Brésil se manifeste le plus souvent par des symptômes sévères (angio-œdème, asthme, anaphylaxie) pouvant engager le pronostic vital (5,6). La seule parade immédiate est l'éviction, en principe facile pour un fruit isolé, aisément reconnaissable, mais difficile en cas de mélanges de fruits secs que ce type de patient doit éviter (5).
Comme pour toutes les allergies alimentaires, l'association à un asthme est un facteur de sévérité bien connu, en particulier pour l'arachide.
(1) https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites-medicales/article/2018/…
(2) L’expression « allergie aux arachides » est souvent utilisée, mais elle est peu correcte. Il vaut mieux dire « allergie à la cacahuète » ou « allergie à l’arachide ».
(3) Movérare R, Ahlstedt S, Bengtsson U, et al.Evaluation of IgE antibodies to recombinant peanut allergens in patients with reported reactions to peanut. Int Arch Allergy Immunol 2011;156(3):282-90.
(4) Asarnoj A, Glaumann S, Lilja G, et al. Peanut component Ara h 8 reflects peanuts tolerance or mild oral allergy symdrome – results from an oral peanut challenge study. XXX Congress of the European Academy of Allergy and Clinical Immunology, Istanbul, Turkey, 11-15 June 2011. Allergy 2001;66 (Suppl. 94):146 (Abstract 325).
(5) Bourrier T, Villevieille L, Albertini M, et al. Allergie alimentaire à la noix du Brésil : à propos de cinq cas chez l’enfant d’âge préscolaire. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2001; 41(4): 401-6.
(6) Ridout S, Matthews S, Gant C, et al.The diagnosis of Brazil nut allergy using history, skin prick tests, serum-specific immunoglobulin E and food challenges. Clin Exp Allergy 2006;36(2):226-32.
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