Lorsqu’une tumeur présente un phénotype microsatellite instable (MSI), les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires se révèlent extrêmement efficaces. Ces tumeurs MSI concernent les cancers colorectaux mais aussi – à des degrés variés – tous les types de cancers primitifs, à commencer par ceux de l’endomètre et, dans une moindre mesure, ceux de l’intestin grêle, de l’estomac et de l’œsophage (de l’ordre de 15 %), plus rarement ceux du pancréas et des voies biliaires.
L’instabilité microsatellite est liée à une déficience sporadique acquise (dont l’incidence augmente avec l’âge) ou constitutionnelle (syndrome de Lynch, pour un quart environ des tumeurs MSI) du système MisMatch Repair (MMR). « Le caractère MSI de la tumeur représente une voie de carcinogenèse commune à plusieurs types de cancer : tous pourraient potentiellement être aussi répondeurs à ces immunothérapies par anti-PD1/anti-PDL1 ± anti-CTLA4 », souligne le Pr Thierry André, chef du service d’oncologie médicale (hôpital Saint-Antoine, AP-HP). En cancérologie digestive, plusieurs autorisations de mise sur le marché ont été délivrées entre 2020 et 2023.
Dans les cancers colorectaux MSI métastatiques
Dans le cas du cancer colorectal, 5 % des tumeurs métastatiques présentent un phénotype MSI, et 10 à 15 % des tumeurs non métastatiques (lire encadré). « Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires par anticorps anti-PD1, essentiellement le pembrolizumab et le nivolumab, en monothérapie ou en association avec un anti-CTLA4 (ipilimumab), ont été développés avec un succès impressionnant chez les patients atteints de cancer colorectal métastatique MSI », résume le Pr André.
Par suite des bons résultats du pembrolizumab en première ligne dans cette population en phase 2 (1), l’actualisation à cinq ans de l’essai Keynote 177 a été présentée au récent congrès de l’Esmo (2-3). Avec une médiane de suivi de 73,3 mois, le pembrolizumab a doublé la médiane de survie sans progression (16,5 contre 8,2 mois). 61,4 % des patients n’avaient pas connu de progression de la maladie à 3 ans, ils sont encore 34 % à cinq ans. Et 55 % sont vivants passé ce délai. « C’est un changement de paradigme : on observe un plateau dans les résultats, s’enthousiasme l’oncologue, ce qui suscite l’espoir que, pour la première fois, il soit possible de guérir une maladie métastatique, du moins contrôler sa progression, grâce à un traitement médical. »
Des études de phase 2, dont CheckMate 142 (non randomisée), ont déjà suggéré que l’association serait encore plus efficace que la monothérapie (4). L’étude internationale randomisée de phase 3 CA209-8HW, qui a terminé ses inclusions et dont les résultats sont espérés prochainement, compare, sur trois bras, un anti-PD1 en monothérapie (nivolumab) à une association anti-PD1/anti-CTLA4 (nivolumab et ipilimumab) et à la chimiothérapie avec ou sans thérapie ciblée.
Dans les cancers MSI non métastatiques
En situation néoadjuvante, l’inhibition des points de contrôle immunitaires est une approche assurément prometteuse. Cette stratégie se fonde sur leur capacité à favoriser l’expansion des lymphocytes T, et à agir avant leur altération, pour réduire la taille de la tumeur avant la chirurgie, voire envisager la conservation de l’organe.
Les études pilotes récemment publiées dans le cancer colorectal ont révélé des réponses pathologiques complètes dans 67 % des cas, et des réponses histologiques majeures dans la majorité des cas (5). Une autre étude sur 12 patients atteints de cancer du rectum a montré qu’il était possible d’éviter une proctectomie dans 100 % des cas avec le dostarlimab (anti-PD1) sans nécessité d’autre traitement (6).
Ainsi, la préservation des organes est devenue un nouvel objectif pour les patients atteints de tumeurs du côlon, du rectum ou de l’estomac, en cas de réponse complète constatée à l’endoscopie. « Ces résultats impressionnants posent des défis éthiques pour la réalisation d’études de phase 3 en vue de l’obtention de l’AMM, pointe le Pr André. Dans le cancer du rectum localisé, une phase 2 avec le dostarlimab est en cours (essai Azur), devant inclure environ 150 patients dans une dizaine de pays, dans le but d’essayer de confirmer ces bons résultats. Nous avons inclus à Saint-Antoine des patients dans le cadre de cet essai thérapeutique. Il faut prendre conscience que ce traitement par dostarlimab remplace le long parcours de radiochimiothérapie suivi d’une chirurgie mutilante par une simple injection d’anti-PD1 toutes les trois semaines, permettant d’essayer d’éviter la chirurgie. C’est véritablement extraordinaire. »
Dans le cas du cancer du côlon, la situation est un peu plus complexe. Tout d’abord, la chirurgie est moins mutilante. De plus, le principal défi en ce qui concerne le traitement néoadjuvant est la difficulté de déterminer, dès avant la chirurgie, le stade de la maladie, c’est-à-dire s’il s’agit d’un stade 2, sans métastase ganglionnaire, ou d’un stade 3, avec. Des études randomisées comparant les traitements classiques – chirurgie suivie de chimiothérapie – à un traitement néoadjuvant avec un anti-PD1 sont prévues dans ce cadre. L’objectif sera notamment d’essayer de déterminer si la colectomie peut être évitée chez ces patients, et dans quelle proportion.
Par ailleurs, en contexte adjuvant, l’essai clinique américain Alliance A021502, dont les inclusions de 700 patients viennent de se terminer, évaluera l’intérêt de l’inhibition par anti-PDL1 (atezolizumab) dans le traitement du cancer du côlon MSI de stade 3, en association à une chimiothérapie de type Folfox6m.
Cancer colorectal microsatellite stable MSS et cancer colorectal MSI, deux maladies distinctes
Le cancer colorectal englobe désormais deux maladies distinctes :
− Le cancer colorectal microsatellite stable MSS (soit 95 % des stades métastatiques et 85 % des stades localisés) présente une instabilité de type chromosomique. Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires n’ont pas montré à ce jour d’efficacité dans ce cadre.
− Le cancer colorectal MSI (qui représente 5 % des stades métastatiques et 15 % des stades non métastatiques). Il se caractérise par une instabilité génétique, une charge mutationnelle élevée et la présence de nombreux néoantigènes. Sa prise en charge a été bouleversée ces deux dernières années par les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires.
« C’est un changement total de paradigme : dans les tumeurs MSI, les inhibiteurs de check point immunitaires sont en mesure de faire disparaître la tumeur primitive. L’espoir, chez ces patients, certes peu nombreux, est désormais la préservation d’organes, avec des essais en cours », résume le Pr Thierry André (Paris).
Entretien avec le Pr Thierry André, chef du service d’oncologie médicale (Hôpital Saint Antoine, AP-HP) (1) Le DT et al. N Engl J Med. 2015 Jun 25;372(26):2509-20 (2) André T et al. N Engl J Med. 2020 Dec 3;383(23):2207-18 (3) K-K Shiu et al. ESMO 2023; LBA32 (4) André T et al. Ann Oncol. 2022 Oct;33(10):1052-60 (5) Chalabi M et al. Nat Med. 2020 Apr;26(4):566-76 (6) Cercek A et al. N Engl J Med. 2022 Jun 23;386(25):2363-76 (7) André T et al. J Clin Oncol. 2023 Jan 10;41(2):255-65
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