Plus de 85 % de guérison à cinq ans, 60 % des enfants inclus dans des essais cliniques, un réseau de 30 centres de référence efficace et égalitaire… L’oncopédiatrie à la française, portée par les progrès scientifiques internationaux depuis trente ans et la stratégie décennale nationale 2021-2030, peut faire valoir de belles réussites. Mais, malgré de grandes avancées et un élan continu vers l’optimisation des soins, la prise en charge reste marquée par un accès difficilement pérenne aux soins de support et par un suivi à l’âge adulte non fléché. Tel est le bilan dressé, à l’occasion de la campagne Septembre en or, par la Pr Virginie Gandemer, présidente de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE).
« Avec environ 2 500 cas par an, les cancers pédiatriques sont très différents de ceux des adultes, ce sont des maladies rares aux besoins spécifiques, rappelle-t-elle. Un médecin généraliste en croisera un, voire deux mais pas du même type, au long de sa carrière. »
De grands progrès ont été réalisés ces vingt à trente dernières années, notamment pour les tumeurs embryonnaires. « Actuellement, il s’agit surtout d’affiner la stratification thérapeutique, c’est-à-dire guérir le mieux possible avec le moins de toxicité immédiate et à long terme, explique l’oncopédiatre. S’il y a toujours une convergence de progrès pour gagner en survie – des traitements locaux aux robots très précis, de la reconstruction en 3D aux anticorps monoclonaux ou bispécifiques comme le blinatumomab en hématologie, sans oublier l’innovation choc des CAR-T cells pour une poignée d’enfants –, la plupart des enfants restent traités avec des traitements conventionnels de chimio- et de radiothérapie. Il s’agit aujourd’hui de traiter au plus juste, sans surtraitement ni sous-traitement ». La mesure de la maladie résiduelle, avec la recherche d’ADN tumoral dans le sang ou la moelle osseuse en hématologie, est un exemple très parlant. « La quantité observée est corrélée au pronostic de guérison, et la vitesse de diminution au cours du traitement au risque de rechute. Cela permet d’adapter la thérapeutique à la réponse du patient de façon précoce. »
Objectif : inclure 80 % des enfants dans un essai
Pour la recherche clinique, l’oncopédiatrie a su tirer une force de ce qui était au départ un inconvénient. « Comme il y a très peu de cas, il nous a fallu nous regrouper et nous organiser. Les essais sont au minimum nationaux, mais la plupart du temps européens voire internationaux. » Les essais de phase 3 sont proposés sur tout le territoire et environ 60 % des enfants y participent. « Dès que c’est possible, les enfants entrent dans un protocole, l’objectif visé étant d’atteindre les 80 % d’enfants inclus, détaille la présidente de la SFCE. C’est un gage de qualité, les enfants présentent de meilleurs résultats lorsqu’ils sont inclus dans un essai car les équipes qui y participent suivent des recommandations précises et sont elles-mêmes évaluées. Il y a eu un gros effort d’acculturation en vingt-cinq ans pour expliquer aux parents que l’innovation proposée, même s’il n’est pas certain qu’elle apporte un bénéfice à leur enfant, ne lui fera prendre aucun risque. » Plus que des nouveaux médicaments, les essais de phase 3 testent des changements de dose, des associations ou des timings d’administration.
Faute de financement et de personnel formé, l’organisation des soins n’est pas formalisée pour le suivi des ex-patients une fois adultes
Pr Virginie Gandemer, présidente de la SFCE
L’égalité des chances est assurée par le maillage sur le territoire, organisé depuis plus de vingt ans par la SFCE en collaboration avec l’Institut national du cancer (Inca) et ses labels, avec 30 centres de référence. « La prise en charge d’un enfant avec un cancer s’effectue obligatoirement dans l’un de ces centres, des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) sont organisées en interrégion », souligne la présidente de la SFCE. Un bémol pour les cancers des adolescents et jeunes adultes (AJA), pour lesquels il existe très peu de structures hospitalières dédiées et pas encore assez d’unités mobiles. « Avec le fait que certains protocoles s’arrêtent à 18 ans, l’éparpillement des structures d’hospitalisation explique que les AJA bénéficient moins d’essais cliniques », déplore-t-elle.
Deux écueils dans le parcours de soins
Mais deux points majeurs grèvent le parcours de soins. « Bien qu’inscrite dans les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (Merri), l’offre en soins de support, comme l’activité physique adaptée, la diététique ou encore le suivi psychologique, reste insuffisante, bien inférieure aux attentes », rapporte la Pr Gandemer. L’accès reste difficile et, si la plupart des services arrivent malgré tout à en proposer, c’est grâce aux associations et sans garantie pérenne.
L’autre écueil concerne le suivi à long terme, quand les enfants guéris deviennent adultes. « Des milliers de patients traités lourdement pendant l’enfance présentent des risques pour la santé. Il y a un besoin majeur pour ces ex-patients, qui ne peuvent plus être suivis en pédiatrie mais dont les problématiques sont mal connues des oncologues adultes. L’organisation des soins n’est pas formalisée, faute de financement et de personnel formé. C’est une vraie préoccupation. »
L’origine des cancers, encore une boîte noire
« Entre 10 et 15 % des cancers de l’enfant sont favorisés voire causés par des anomalies génétiques constitutionnelles, explique la Pr Virginie Gandemer, présidente de la Société française des cancers de l’enfant (SFCE). Mais pour les 90 % restants, on ne sait toujours pas répondre aux familles. » Le registre des cancers de l’enfant, mis en place il y a plus de trente ans, ne rapporte pas d’augmentation notable des cas. Mais que penser des polluants de l’environnement ? « La toxicité chez l’adulte met en évidence un délai de plusieurs années entre l’exposition et l’apparition du cancer. Or le cancer chez l’enfant survient en médiane à l’âge de 5 ans, explique la cancérologue. La question est complexe, ce sont peut-être des facteurs favorisants, mais pour l’instant, les preuves de causalité n’ont pas été apportées, y compris pour une exposition maternelle avant ou pendant la grossesse. Ces sujets sont néanmoins pris très au sérieux et font l’objet de recherches importantes. »
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