Cancer du rectum : pour le Dr Jérôme Loriau (chirurgie digestive), le « watch and wait » arrive à maturité

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Publié le 16/11/2023
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Améliorer la qualité de vie des patients atteints de cancer du rectum, en préservant les résultats sur le plan oncologique est devenu un impératif.
Vers une approche personnalisée

Vers une approche personnalisée
Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

LE QUOTIDIEN : Comment la thérapie néoadjuvante a évolué dans le cancer du rectum ?

Dr JÉRÔME LORIAU : Le plus souvent, le cancer du rectum est traité en utilisant une approche néoadjuvante, qui englobe la chimiothérapie et la radiothérapie, toutes deux comportant des risques non négligeables en termes de morbidité. La chimiothérapie n’est pas exempte d’effets indésirables, tandis que la radiothérapie, malgré son intérêt démontré pour réduire les récidives locales, suscite des débats quant à son bénéfice absolu, face à l’efficacité des nouvelles chimiothérapies (1). Des études, certaines déjà publiées et d’autres en cours, pourraient conclure à l’équivalence d’une chimiothérapie néoadjuvante et d’une radiochimiothérapie.

LE QUOTIDIEN : Peut-on se passer de chirurgie dans le cancer du rectum ?

Dr JÉRÔME LORIAU : La chirurgie de ce cancer peut entraîner des conséquences fonctionnelles importantes, même en l’absence de complications : jusqu’à 30 à 50 % des patients connaissent des troubles du transit ou de l’évacuation, ainsi que des conséquences sexuelles, pouvant considérablement affecter leur qualité de vie.

Aujourd’hui, la radiothérapie et la chimiothérapie, voire une chimiothérapie intensive, ont le potentiel de détruire complètement les cellules tumorales, au point qu’une proportion — encore assez minoritaire — de patients pourraient éviter la chirurgie et bénéficier d’une approche de surveillance, appelée stratégie du « watch and wait ».

À qui s’adresse cette stratégie ?

Depuis plus d’une quinzaine d’années, elle est proposée à des patients dont les tumeurs sont susceptibles de répondre favorablement à un traitement intensif préopératoire, quel qu’il soit. En général, il s’agit de tumeurs de petite taille (des études sont en cours pour identifier d’autres critères de bonne réponse escomptée).

Une fois le traitement délivré et si on souhaite éviter la chirurgie, la question cruciale est d’évaluer la réponse clinique complète. Cela repose sur des examens d’imagerie, notamment des IRM de dernière génération, multiphases et multiparamètres, qui peuvent aider à évaluer la persistance de vitalité des tissus tumoraux, sur l’endoscopie avec imagerie avancée, des biopsies ou une exérèse pour analyse de la cicatrice. Mais l’enjeu est de détecter d’éventuels reliquats tumoraux de moins d’un dixième de millimètre, et parfois enfouis à près de 10 mm sous la muqueuse rectale. C’est dire le niveau de précision de cette étape thérapeutique.

Comment se déroule la surveillance ?

Lorsque le « watch & wait » est décidé, les patients candidats à la surveillance doivent être examinés régulièrement, souvent tous les trois mois. Le principe est de détecter au plus tôt une récidive qui risque de survenir, selon la sévérité de la tumeur initiale, chez 10 à 30 % des patients et, pour plus de 90 %, dans les deux premières années.

La surveillance inclut un examen clinique, une endoscopie, parfois des biopsies et des examens d’imagerie où, là encore, des recherches sont en cours pour déterminer les critères d’une réponse complète. Ainsi, en cas de récidive, les patients ne présentent pas de perte de chance en termes de survie après cancer par rapport à ceux qui ont été opérés dès le début s’ils sont pris en charge immédiatement.

Quels sont les résultats de cette approche ?

Dans le cadre du cancer du rectum de faible à intermédiaire en rémission clinique complète après chimiothérapie adjuvante (totale ou non), une récente méta-analyse publiée en octobre 2023 a comparé les résultats oncologiques obtenus avec une stratégie « d’observation et d’attente » (WW) ou avec la chirurgie (2). Il n’y avait aucune différence en termes de survie globale, de survie sans maladie à cinq ans, de métastases à distance et de mortalité entre le groupe de la stratégie WW et le groupe de traitement chirurgical.

Les auteurs ont conclu que, pour les patients qui montrent une forte préférence pour la préservation des organes et veulent éviter la stomie, la stratégie WW peut être envisagée comme une alternative pragmatique aux interventions chirurgicales.

Ainsi, dans le cancer du rectum, on entre dans une approche de traitement oncologique personnalisé. Le traitement doit tenir compte de la situation spécifique de la tumeur, de sa taille, des résultats des biopsies, de l’extension de la maladie, et bien d’autres facteurs, pour proposer à chaque patient la prise en charge la plus efficace mais aussi celle présentant le moins de conséquences inutiles fonctionnelles. Cette démarche exige une approche et une organisation rigoureuse multidisciplinaire, où de nombreuses spécialités médicales doivent se coordonner pour construire le parcours de chaque patient ; et ceci dans les meilleurs délais.

 

(1) Schrag D et al .N Engl J Med. 2023 Jul 27;389(4):322-34

(2) Shufa T et al. Int J Colorectal Dis. 2023 Oct 3;38(1):246

Dr Jérôme Loriau, chef du service de chirurgie digestive (GH Paris St-Joseph) Propos recueillis par Hélène Joubert

Source : Le Quotidien du médecin