C'est un nouvel élan pour la piste des microARN explorée depuis une décennie en oncologie. Des chercheurs du département des sciences en biologie de l'université Purdue ont testé chez la souris un nouveau traitement du cancer basé sur l'ARN. Ces premiers résultats publiés dans la revue « Oncogene » symbolisent le retour de cette approche thérapeutique après les succès des vaccins Covid à ARN messager.
Identifiés en 1993, les microARN sont des petites molécules d'une vingtaine de bases, accompagnées d'un brin d'ARN complémentaire, capable d'interagir avec l'ARN messager, via une séquence cible de sept ou huit bases. « Le miR-34 a été un des premiers microARN à intéresser l'industrie pharmaceutique et les chercheurs, explique Christophe Grosset, responsable de l'équipe Mircade (Méthodes et innovations pour la recherche sur les cancers de l’enfant) au sein d'institut d'oncologie de Bordeaux (Brics). Il régule négativement l'expression des protéines oncogéniques ».
Les microARN existent à l'état naturel dans les cellules saines mais diminuent dans les cellules tumorales. « L'idée qui consiste à compenser ce phénomène par un apport exogène peut paraître simple, mais elle se heurte à trois difficultés, poursuit le chercheur. D'abord, il faut modifier la séquence pour que l'ARN ne soit pas dégradé, ensuite il faut vectoriser ce brin d'ARN pour faciliter son adressage jusqu'aux cellules cancéreuses. »
En septembre 2016, un premier essai clinique de phase 1, expérimentant une version du miR-34, a dû être stoppé à la suite d'effets indésirables sévères ayant abouti à la mort de trois des 85 patients de l'étude (sepsis, hypoxie, syndrome de libération de cytokines et défaillance hépatique). Toutefois, les données des autres patients avaient fourni une première preuve de concept chez l'homme. « La question qui s'est posée était de savoir si c'était le microARN lui-même ou son vecteur qui était responsable de ces effets indésirables ».
La solution : modifier davantage l'ARN
Ici, les auteurs ont expérimenté chez l'animal deux versions du miR-34. Une première, « faiblement modifiée » (PM-miR-34a) correspond à celle déjà employée lors de l'essai clinique de phase 1. La seconde « fortement modifiée » (FM-miR-34a) contient un « guide » de 22 nucléotides censé rendre l'ensemble plus spécifique et ainsi éviter les effets hors cible. Quant au brin complémentaire chargé de la stabilité du microARN, les chercheurs l'ont amélioré afin de se détacher plus facilement en présence de l'ARN cible.
Après injection chez neuf souris, le mi-RNA-34a se maintient dans le corps des rongeurs pendant au moins 120 heures. Les données indiquent qu'il est resté invisible au système immunitaire. Pour s'assurer que la molécule se fraie un chemin jusqu'aux cellules tumorales, les auteurs lui ont fixé un acide folique. Les cellules tumorales, issues de cancers du poumon, du sein, du col de l'utérus ou des ovaires présentent en effet d'un nombre anormalement élevé de récepteurs à l'acide folique sur leur surface.
Les chercheurs ont injecté le mi-RNA-34a chez neuf souris greffées de cellules cancéreuses humaines. Chez les trois rongeurs non traités, les tumeurs ont en moyenne triplé de volume; chez les trois ayant reçu un microARN faiblement modifié, elles avaient doublé en taille. Et chez les trois traités avec une version fortement modifiée, les tumeurs n'avait pas grossi, voire avaient légèrement diminué.
Dix traitements ARN autorisés, aucun en oncologie
Selon un rapport daté de février dernier, 10 traitements basés sur l'ARN sont autorisés en Europe, dans des indications aussi variées que la dystrophie moléculaire de Duchenne (près de la moitié des thérapies ARN lui sont consacrées), l'atrophie musculaire spinale ou encore la maladie veino-occlusive du foie, mais aucune n'est indiquée dans le traitement du cancer.
« Grâce aux progrès de la vectorisation, cette stratégie revient en force dans l'arsenal thérapeutique, explique Christophe Grosset. Les petits ARN thérapeutiques ont un bel avenir car, contrairement aux anticorps dirigés contre les inhibiteurs de kinase, ils sont difficilement solubles, et ils peuvent être vectorisés à moindre coût et même reprogrammés pour être plus efficaces ou plus adaptés à une nouvelle cible au sein d'une tumeur », résume-t-il.
Christophe Grosset a longtemps essayé de décrocher des financements en France pour explorer la voie des ARN, sans jamais vraiment y parvenir : « En France, avec l'arrivée des immunothérapies, on a clairement négligé cette piste de recherche. Le succès des vaccins ARN contre le Covid pourrait faire revenir chez nous ce type de travail dans le scope des financeurs. »
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