Souvent diagnostiqué à un stade tardif (85 %), le cancer bronchopulmonaire (CBP) est l’un des cancers de plus mauvais pronostic, avec un taux de survie moyen à cinq ans de 20 %. Chaque année, plus de 33 000 personnes meurent de ce cancer en France. « C’est dans ce contexte que nous lançons Luca-pi, recherche sur la prévention et l’interception du cancer bronchique », annonce le Pr David Boulate, chirurgien thoracique à l’hôpital nord de Marseille, qui coordonne ce projet (1). Ce RHU sur cinq ans, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) à hauteur de 10 millions d’euros, vise à développer des biomarqueurs biologiques et des logiciels d’intelligence artificielle fondés sur l’imagerie et l’analyse de tissus.
Il n’existe pas jusqu’ici en France de dépistage organisé du cancer du poumon, la Haute Autorité de santé (HAS) ayant considéré en 2016 que toutes les conditions pour une mise en œuvre efficace et sûre n’étaient pas réunies. « Mais l’analyse de nouvelles données montre que le dépistage par scanner faible dose chez les personnes fortement exposées au tabac conduit à une réduction de la mortalité spécifique, explique le Pr Boulate. Ceci a amené la HAS à actualiser son avis en 2022 et à encourager la mise en place d’expérimentations en vie réelle (…) afin de ne pas retarder l’accès à cette modalité de dépistage. »
Plusieurs essais cliniques ont en effet montré l’efficacité du scanner thoracique faible dose pour le dépistage des CBP chez les fumeurs et anciens fumeurs, avec une diminution significative de la mortalité. « Ce dépistage qui permet des diagnostics précoces dans 70 % des cas est une révolution », estime le chirurgien thoracique. Mais avant d’envisager un éventuel passage à l’échelle, comme le rappelle l’Inca (2), « il faut s’assurer que les modalités de dépistage et l’organisation mises en place permettront d’obtenir, en population et en vie réelle, une balance bénéfice/risque favorable à un tel déploiement ».
« L’arrivée massive de personnes au dépistage, si elle est souhaitable en termes de prévention, aurait pour effet d’amplifier les problématiques actuelles liées au dépistage précoce du CBP », soutient le Pr Boulate. Les résultats positifs sur la réduction de la mortalité spécifique et du taux de détection des cancers à un stade avancé doivent être considérés au regard des effets délétères « liés au surdiagnostic - diagnostic de lésions cancéreuses indolentes, qui n’auraient pas évolué ou de cancers qui ne seraient jamais devenus symptomatiques – et à la détection de faux positifs, pouvant générer anxiété, examens complémentaires invasifs, traitements et risques accrus de complications parfois graves », rappelle le spécialiste.
Des biomarqueurs prédictifs du risque
« Si les critères d’éligibilité au scanner sont consensuels, ils présentent l’inconvénient majeur de tenir éloignées du dépistage des personnes à risque de développer un CBP mais n’entrant pas dans les critères actuels, imprécis et restrictifs », fait valoir le Pr Boulate. L’équipe, s’appuyant sur les études Prevalung (3), a identifié une vingtaine de biomarqueurs potentiellement prédictifs. L’objectif est d’identifier parmi ces marqueurs ceux pouvant composer une signature biologique pour, à terme, repérer sur prélèvement sanguin les patients prioritaires au scanner, en particulier les moins de 50 ans ou peu tabagiques, avec des facteurs de risque personnels.
Les outils de diagnostic des nodules visibles au scanner et la possibilité d’y intégrer un profil biologique des patients nous font évoluer vers une sorte de biopsie numérique
Pr David Boulate, chirurgien thoracique à l’hôpital nord de Marseille
« Un autre défi est d’analyser plus précocement et précisément la nature des nodules détectés au scanner », poursuit le Pr Boulate. Pour y arriver, l’intelligence artificielle (IA) entre en jeu. « Les outils de diagnostic des nodules visibles au scanner et la possibilité d’y intégrer un profil biologique des patients nous font évoluer vers une sorte de biopsie numérique des nodules à partir d’un scanner, précise-t-il. Les algorithmes, entraînés avec plusieurs milliers d’images de nodules bénins ou malins, seront capables de plus de précision que ce que nous faisons actuellement. »
Entre 20 à 30 % des patients sont susceptibles de développer une récidive deux ou trois ans après l’intervention chirurgicale
Pr David Boulate
Prédire les récidives et la désescalade thérapeutique
Une autre ambition du projet est de mieux prédire le risque de récidive. « Bien que la chirurgie du CBP permette de traiter les cancers précoces avec un objectif de guérison, 20 à 30 % des patients sont susceptibles de développer une récidive deux ou trois ans après leur intervention chirurgicale », rappelle le Pr Boulate. Aujourd’hui, une chimiothérapie préventive est proposée aux patients atteints de cancers de stade II – diamètre de plus de 4 cm ou avec atteinte d’un ganglion dans le poumon.
« La numérisation des lames d’anatomopathologie avec un scanner spécialement acquis pour le projet fournira un précieux matériel pour le développement d’algorithmes de prédiction des risques de récidive, espère David Boulate. N’administrer ces traitements que lorsque c’est réellement pertinent participerait de la dynamique actuelle de désescalade associée à une médecine toujours plus personnalisée. » Les premières applications, attendues à l’horizon 2029, permettraient d’améliorer les parcours de soins tout en réduisant les coûts.
Une analyse coût-efficacité du dépistage organisé
L’un des objectifs de l’étude sera d’ailleurs de réaliser une analyse coût-efficacité et, parallèlement aux projets pilotes menés par l’Inca, de permettre une harmonisation des parcours et des délais, « aujourd’hui très hétérogènes sur le territoire national », rapporte le Pr Boulate. « Certaines questions préalables telles que le risque de cancers radio-induits, le surdiagnostic, les aspects médico-économiques, feront l’objet de modélisations et d’études complémentaires au programme pilote », souligne l’Inca.
Le référentiel opérationnel est en cours de finalisation pour une publication envisagée au deuxième trimestre 2024. « Celui-ci permet de cadrer l’utilisation du scanner faible dose pour le dépistage du CBP et d’établir le cahier des charges de l’appel à candidatures du programme pilote pour une publication avant l’été, précise l’Inca. Ce programme pilote permettra d’apporter les réponses aux points identifiés par la HAS - critères d’éligibilité et organisation notamment - comme devant être clarifiés avant la généralisation d’un programme de dépistage pour ce cancer ».
Les recrutements pour Luca-pi sont ouverts depuis le 15 février, les patients présentant des nodules pulmonaires peuvent être adressés aux responsables du programme de recherche.
(1) Consortium AP-HM, Gustave-Roussy, Centre d’immunologie de Marseille, Inserm, Aix Marseille Université, Inria, CRCM, TheraPanacea et laboratoire Compo
(2) Panorama des cancers en France, édition 2023, Inca
(3) Prevalung Étoile et Europe réalisées avec l’hôpital Marie-Lannelongue et Gustave-Roussy
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?