En janvier prochain, le Pr Yves Lévy (patron de l’INSERM) devrait remettre au Premier ministre le fruit d’une réflexion collective sur le séquençage du génome entier, afin de l’intégrer dans la pratique médicale de routine, au-delà des quelques centres spécialisés. « Il est urgent de ne pas rater ce tournant », a-t-il exhorté lors d’un colloque, en pensant aux patients mais aussi au développement d’une filière économique.
« La France est en retard », accuse-t-il, alors que Barack Obama a débloqué 215 millions de dollars (197 millions d’euros) en février pour décoder les gènes d’un million de personnes, dans le sillage de David Cameron qui a investi dès 2012 un milliard de livres (1,38 milliard d’euros).
Repenser la clinique
« Nous sommes aujourd’hui dans une médecine de précision, pas encore personnalisée », recadre la présidente de l’Institut national du cancer (INCa) Agnès Buzyn. Les 28 plateformes de biologie moléculaire mises en place depuis 2006 dans le cadre du plan cancer II réalisent 100 000 tests sur près de 70 000 nouveaux malades chaque année. « On ne teste que certaines tumeurs (essentiellement sein, colon, poumon) qui ont un traitement spécifique » explique Agnès Buzyn. « La France est le seul pays à faire ces analyses moléculaires (une vingtaine) en routine. Parallèlement, on fait de la recherche clinique sur les tumeurs rares. Mais il faut désormais monter d’un cran », estime-t-elle.
Le plan cancer III fixe l’objectif de séquencer à haut débit 60 000 tumeurs en 2019. Un vrai pas vers la médecine personnalisée, qui devrait aussi bénéficier aux pathologies plus communes, mais qui suppose de repenser le système de santé. « Les essais cliniques de phase 3 ne seront plus pertinents, car tous les patients sont différents. Il faut des essais cliniques adaptatifs », note Agnès Buzyn.
Plus globalement, le Pr Yves Lévy appelle à un écosystème intégratif, allant du chercheur au patient en passant par le laboratoire et le clinicien . « La distinction entre la recherche fondamentale et clinique s’estompe », assure le président d’Aviesan (alliance pour les sciences de la vie et de la santé).
Quant au médecin, il ne sera plus seul avec son résultat de biologie. « Il faudra une aide à la décision et des algorithmes d’interprétation pour croiser les données de son patient avec celles des autres », prévoit le Pr Lévy.
Défis des données
Des milliards de données de santé seront produites. Outre les questions médicales et éthiques, des défis matériels se posent. « Nous avons les machines capables de traiter des milliards de données. Mais pour créer une industrie du logiciel, l’État doit s’engager à ouvrir leur accès », prévient Gérard Roucairol, ex-président de l’académie des technologies et président de Teratec (association pour le développement du calcul informatique à haute performance).
La sécurité des données reste un enjeu prioritaire. « Si on constitue une cohorte sur des citoyens européens, et si les données sont traitées aux États-Unis, quelles garanties aurons-nous ? » interpelle Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). « Il faut qu’on progresse aussi sur l’anonymisation, difficile lorsqu’on fait du big data », poursuit-elle.
La médecine personnalisée ébranle enfin la notion de consentement individuel du malade, qui passe parfois après les bénéfices attendus pour toute la population. « Il faut trouver un équilibre », dit Isabelle Falque-Pierrotin.
Une nouvelle gestion du risque
Cette révolution scientifique conduit enfin à repenser notre modèle de solidarité. « C’est une médecine solidaire où l’on met au pot toutes les analyses et données », assure Agnès Buzyn. Une affirmation à nuancer si l’on se place du côté de notre système de protection sociale qui repose aujourd’hui sur un « voile d’ignorance », répond Didier Tabuteau, responsable de la Chaire Santé de Sciences Po Paris. « Si demain, on peut cerner l’aléa et les susceptibilités individuelles, il y a un risque réel de désolidarisation », redoute-t-il.
La ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé la prochaine saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
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