PAR LE Dr FLORENT GRANGE (1)
SUR LE PLAN diagnostic, la biologie moléculaire commence à venir en aide au pathologiste pour certaines tumeurs mélanocytaires de diagnostic difficile, parfois désignées « MELTUMP » (melanocytic tumor of uncertain malignant potential) ou « SAMPUS » (superficial atypical melanocyte proliferation with uncertain significance). Certaines tumeurs spitzoïdes de l’enfant ou de l’adulte, par exemple, appartiennent à ces catégories. Des travaux récents suggèrent que l’étude par FISH ou CGH array des anomalies génétiques présentes dans ces tumeurs pourrait améliorer les performances du seul examen morphologique.
Sur le plan de la classification et du pronostic, la principale avancée est la publication fin 2009 de la nouvelle classification AJCC des mélanomes, établie au terme de très vastes études pronostiques incluant plus de 30 000 malades en stade I à III et près de 8 000 malades de stade IV. La nouveauté au stade de tumeur primitive isolée est l’apparition de l’index mitotique comme facteur pronostique majeur supplantant le niveau de Clark. Ceci est particulièrement important pour les petits mélanomes (<1 mm), qui sont classés en stade IA en l’absence d’ulcération et de mitoses (< 1 mitose /mm2) mais en stade IB en présence d’ulcération et/ou de mitoses (≥ 1 mm2), avec une diminution du taux de survie à 5 ans de 95 % à 85-88 %. Il est donc particulièrement important de voir figurer ces données sur les comptes rendus anatomopathologiques.
L’ulcération n’est pas simplement importante sur le plan pronostique, mais aussi comme facteur prédictif d’une réponse à l’interféron. Ceci était déjà suggéré par la très large méta-analyse sur données individuelles de Wheatley portant sur plus de 6 000 malades et 13 essais d’interféron adjuvant versus observation (ou vaccin). Celle-ci montrait une diminution de 7 % du taux de récidive et de 3 % du taux absolu de décès chez les malades traités par l’interféron, et suggérait un bénéfice supérieur en cas de mélanome ulcéré. Une méta-analyse de plusieurs essais de l’EORTC ainsi que des analyses de sous-groupes de l’étude d’Eggermont (EORTC 18 991) comparant au stade III l’interféron pegylé pendant 5 ans à une simple surveillance, vont dans le même sens : on observe chez les malades avec un mélanome ulcéré une amélioration sous interféron à la fois de la survie sans récidive, de la survie sans métastases à distance et de la survie globale. Ces améliorations sont surtout significatives en cas de faible masse tumorale (stade IIC et IIIA). Finalement, les malades qui semblent le plus bénéficier de l’interféron sont ceux dont la tumeur primitive est ulcérée et le ganglion sentinelle positif. Un essai prospectif de l’EORTC comparant l’interféron pégylé à la surveillance simple dans des mélanomes › 1 mm ulcérés est en cours.
Les essais d’immunothérapie spécifique adjuvante sont passés à une phase beaucoup plus avancée avec le lancement en 2009 d’un essai thérapeutique de phase III à recrutement mondial évaluant l’efficacité d’un vaccin MAGE-A3 associé à un adjuvant puissant (ASCI) comparé à un placebo après résection de métastases ganglionnaires macroscopiques exprimant la protéine MAGE3. Plus de 400 malades (sur 1 300 prévus) ont été inclus dans cet essai impliquant près de 25 centres français.
Au stade IV, le pronostic du mélanome reste très sombre mais les approches thérapeutiques nouvelles sont porteuses de réels espoirs. Plusieurs essais thérapeutiques utilisant les anticorps anti-CTLA-4 montrent, malgré un taux de réponse global assez faible selon les critères usuels, l’existence de réponses tardives survenant parfois après une phase initiale de progression, et des taux de survie à 2 ans › 20 % voire 30 %. Des essais d’association aux chimiothérapies sont en cours. Des études utilisant dans le mélanome métastatique l’oblimersen (Genasense®), le bevacizumab (Avastin®), le sorafenib (Nexavar®), le tasisulam, seuls ou combinés à différentes chimiothérapies sont en cours. Les plus grands espoirs reposent sur le développement de traitements ciblés susceptibles d’induire des taux de réponse élevés dans des sous-groupes de mélanome porteurs de mutations particulières. L’essai de phase 2 le plus retentissant, présenté à l’ASCO 2009, a montré une réponse objective chez 70 % (19/27) des malades porteurs d’une mutation V600E de BRAF (très fréquente dans les mélanomes de type SSM) traités par un nouvel inhibiteur protéine kinase, le PLX4032 (Plexxicon®). Un essai de phase III versus Déticène® est en cours. De façon moins spectaculaire mais également prometteuse, des inhibiteurs de tyrosine kinase comme l’imatinib (Glivec®) ciblant des mélanomes porteurs d’une mutation de c-kit (soit 15 % environ des mélanomes muqueux ou acro-lentigineux) ont donné des taux de réponse de l’ordre de 30 % en monothérapie dans des essais de phase II.
Sur le plan de la recherche fondamentale, une approche extrêmement prometteuse consiste à étudier le rôle des « cellules souches cancéreuses » dans le développement du mélanome et sa résistance à la chimiothérapie. Ces cellules souches, exprimant le marqueur de chimiorésistance ABCB5, représenteraient une petite fraction des cellules tumorales mais seraient capables d’initier le processus tumoral et d’entraîner des cellules plus différenciées dans le processus de prolifération. Des auteurs de la Harvard Medical school de Boston (Schatton et al, Nature 2008) ont montré que l’administration systémique d’un anticorps anti-ABCB5 était capable d’inhiber le développement et la croissance de tumeurs de mélanome chez la souris.
En matière de lutte contre le mélanome de stade avancé, les dermatologues et les oncologues se sont depuis 20 ans heurtés à un mur. En ce vingtième anniversaire à Berlin, c’est peut-être la chute d’un autre mur que l’on pouvait entrevoir pour les années à venir.
(1) Service de Dermatologie, hôpital Robert-Debré, Reims
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