Les cancers du sein triple négatifs sont associés à davantage de récidives et de décès. C’est pourquoi, même dans les formes précoces, une chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante est généralement préconisée. La taille de la tumeur et la présence ou pas d’envahissement ganglionnaire guident l’intensité de ces chimiothérapies. En revanche, il n’existe pas aujourd’hui de biomarqueur permettant une éventuelle désescalade. On sait néanmoins que les tumeurs précoces largement infiltrées par les lymphocytes infiltrant la tumeur (TIL) ont un meilleur pronostic après chimiothérapie. On se demandait si leur présence, indépendamment d’une chimiothérapie était en soi de bon pronostic. C’est en effet le cas.
Une vaste étude rétrospective internationale coordonnée par l’Institut Gustave Roussy et la Mayo Clinic sur 18 ans de suivi auprès de 2000 femmes a montré que le taux de TIL initial affecte significativement le pronostic des tumeurs précoces triples négatives (1). Ce biomarqueur pourrait donc, d’ici quelques années si les études prospectives s’avèrent concluantes, permettre d’alléger, voire d’éviter, la chimiothérapie chez certaines femmes. Explications de la Dr Barbara Pistilli (cheffe du comité Sénologie) et de Stefan Michiels (responsable de l’équipe Oncostat) de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif).
Un biomarqueur qui pourrait permettre d’affiner les stratégies
« Il y a 5 ans nous avons mené une première étude qui a montré que les femmes porteuses de petits cancers triple négatifs présentant un taux élevé de TIL avant l’administration de chimiothérapie avaient un très bon pronostic, rappelle Stefan Michiels. Nous avons cette fois-ci voulu regarder si, chez les femmes n’ayant pas eu de chimiothérapie, la survie était aussi bonne. Cette étude montre qu’effectivement, les TIL élevés majorent la survie, même en absence de chimiothérapie. »
« Pour rappel, les tumeurs N0 de moins de 5 mm ne relèvent pas de la chimiothérapie. Elle est impérative au-delà de 10 mm. Mais, pour des tumeurs de taille comprise entre 5 et 10 millimètres, la chimiothérapie reste discutable. Elle est, certes, préconisée par les recommandations mais on ne dispose d’aucun essai clinique prospectif démontrant son utilité. Chez ces femmes, au-delà des critères cliniques (taille, envahissement), les taux de TIL pourraient permettre de personnaliser le traitement et d’aller vers une désescalade, explique la Dr Pistilli. Pour explorer cette possibilité, une étude prospective franco-espagnole va démarrer. Dans cet essai (Etna) la chimiothérapie sera stratifiée en fonction du taux de TIL. On utilisera une chimiothérapie standard lors de TIL inférieurs à 30 %, une chimiothérapie allégée plus une immunothérapie lors de TIL entre 30 et 50 % et on s’abstiendra de thérapie adjuvante lors de TIL supérieurs à 50 %. Les survies observées seront ensuite comparées à celles des cohortes historiques. »
Près de 2000 femmes traitées loco-régionalement sans chimiothérapie
L’étude porte sur des femmes porteuses de cancer du sein triple négatif de stade I-III, diagnostiquées entre 1979 et 2017, dont le traitement s’était restreint à une prise en charge locorégionale (chirurgie ± radiothérapie) sans aucune chimiothérapie adjuvante.
Leur âge moyen au diagnostic était de 56 [35-71] ans et plus de 40 % avaient moins de 50 ans. Parmi elles, 55 % ont une tumeur de stade I et 38 % une tumeur de stade II, et leurs ganglions ne sont pas envahis dans la très grande majorité des cas (N0 : 87 %).
Le taux d’infiltration des TIL dans le stroma a été évalué de façon standardisée par des anatomopathologistes entraînés. Le taux médian de TIL dans cette population est de 15 [5-40 %] %. Au total, 20 % de ces femmes ont un taux de TIL supérieur à 50 %, elles sont plutôt jeunes (âge médian : 41 ans). Alors que les femmes dont les TIL sont à moins de 30 % sont relativement plus âgées (66 % des femmes, âge médian : 59 ans).
Le critère primaire est la survie sans récidive invasive. La survie sans récidive, la survie sans récidive à distance et la survie totale ont été prises en critères secondaires.
La relation entre les survies et les taux de TIL a été analysée de façon continue et en discontinu sur trois catégories : moins de 30 %, 30-50 %, plus de 50 %. Un cut off à 75 % a aussi été exploré.
Résultat, à 18 ans de suivi médian, après ajustements, chaque augmentation de 10 % des TIL est indépendamment associée à une meilleure survie sans récidive invasive (RR = 0,92 [0,87-0,92]) mais aussi à une meilleure survie totale (RR = 0,88 [0,85-0,91]).
Le taux de TIL constitue donc bien un marqueur pronostique initial dans ces tumeurs. C’est ainsi que dans les tumeurs de stade I à 5 ans de suivi, on est à 95 % de survie totale pour des TIL supérieurs à 50 %, versus 82 % de survie pour des TIL inférieurs à 30 %.
D’après un entretien avec la Dr Barbara Pistilli (Cheffe du comité sénologie) et Stefan Michiels (Responsable de l’équipe Oncostat U1018, Inserm, Univ Paris-Saclay) à Institut Gustave Roussy (Villejuif).
(1) Leon-Ferre RA et al. Tumor-Infiltrating Lymphocytes in Triple-Negative Breast Cancer. JAMA. 2024 Apr 2;331(13):1135-1144
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