LE QUOTIDIEN : Quelle est la maladie rare dont souffrent les deux enfants que vous avez traités dans le cadre de l’essai AcSé-Esmart (1) ?
DR BIRGIT GEOERGER : L’acidurie D-2-hydroxyglutarique de type II (D2HGA2) est un trouble inné grave du métabolisme causé par des mutations R140 hétérozygotes du gène IDH2 (isocitrate déshydrogénase 2). Des taux élevés d’acide D-2-hydroxyglutarique (D-2-HG) se retrouvent par conséquent dans les urines, le plasma et le liquide céphalorachidien. Les formes cliniques sont variables et apparaissent dès la période néonatale ou la petite enfance, avec généralement une hypotonie, un retard mental et psychomoteur, une épilepsie et une cardiomyopathie.
Pourquoi avoir songé au repositionnement d’une thérapie anticancéreuse ?
Nous savions que ces deux patients atteints de D2HGA2 présentaient des mutations constitutives (germinales) du gène IDH2, identiques à celles retrouvées dans certaines formes de leucémies aiguës myéloïdes traitées depuis peu par énasidénib, un inhibiteur sélectif de l’enzyme IDH2. Cette molécule est autorisée en France et certains pays en Europe dans le cadre d’un essai clinique précoce pour les enfants atteints de cancer et de D2HGA. Nos derniers résultats portent sur le traitement de deux enfants atteints de D2HGA2, dont l’un présentait une cardiomyopathie dilatée sévère. Il avait sept ans et a pris un comprimé d’énasidénib par jour pendant les quatre ans de l’essai.
Comment avez-vous pu inclure ces deux jeunes patients dans l’essai AcSé-Esmart ?
Cette molécule fait partie des médicaments en cours d’évaluation dans le cadre de l’essai AcSé-Esmart, qui propose des traitements innovants (thérapies ciblées, immunothérapies) adaptés au profil moléculaire et immunologique d’enfants et adolescents atteints de cancer. Nous avons pu inclure ces patients après des discussions avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ainsi que le comité d’éthique, lors de l’ajout de l’énasidénib dans l’essai pour les enfants atteints de leucémie et de tumeurs solides portant la mutation IDH2.
Nos arguments s’appuyaient sur les recherches qui démontraient les bénéfices de la molécule notamment au niveau cardiaque et métabolique. Des patients atteints de D2HGA qui ne souffraient pas de cancer ont ainsi pu être inclus dans ce bras de l’essai.
Quels résultats avez-vous obtenus avec cette thérapie ultraciblée ?
Ces résultats sont impressionnants et indiquent que l’inhibition ciblée d’une enzyme mutante peut partiellement inverser la pathologie d’un trouble génétique neurométabolique. En effet, chez les deux enfants, l’énasidénib a permis la normalisation des concentrations de D-2-HG dans le sang et les urines dès la première mesure, après seulement huit jours de prise.
Leur motilité, leur force physique, leurs capacitéś d’interaction et la fonction cardiaque se sont améliorées. Ils ont aussi progressé sur le plan cognitif et dans leurs apprentissages. Le second enfant, une petite Suédoise de huit ans, a pu démarrer le traitement en octobre 2021. Les bénéfices sur les fonctions motrices, exécutives et cognitives étaient spectaculaires, ce d’autant qu’elle était moins atteinte que le garçon.
À noter qu’une modification des concentrations sériques de certains phospholipides a été observée, associée à des effets complexes sur l’activité de voies biologiques liées aux lipides et à l’oxydoréduction.
Ne faudrait-il pas alors débuter cette thérapie par énasidénib très tôt dans la vie ?
Ce serait l’idéal, dès les premiers mois de vie, ou chez des enfants ayant peu de symptômes de leur maladie. La petite fille était moins sévèrement atteinte d’où une bonne récupération du langage, des mouvements, et des interactions avec l’environnement. Des tests chez la souris ont montré un bénéfice du traitement pendant la gestation, en réduisant l’incidence de la cardiomyopathie chez les nouveau-nés.
Dans l’optique de traiter plus précocement, des collègues Norvégiens viennent de diagnostiquer la maladie chez un bébé de six mois et nous espérons l’inclure dans l’étude. D’autres enfants atteints de D2HGA2 suivis aux Pays Bas, en Grèce, en Angleterre et en Suisse pourraient aussi participer à AcSé-Esmart.
Ces résultats vont appuyer notre souhait de poursuivre le développement de cette molécule dans cette maladie génétique rare. Nous sommes en lien avec le laboratoire, les autorités réglementaires et les associations de patients, afin que les enfants aient accès tout au long de leur vie à ce traitement. En effet, le traitement n’étant pas curatif, il doit être administré en continu et probablement tout au long de la vie. Pour preuve, après seulement quatre jours d’interruption chez le premier patient, le marqueur D-2-HG était remonté. D’où notre soulagement concernant la tolérance : après quatre années de suivi, aux doses de 50 mg et 60 mg par jour, aucun effet secondaire n’a été observé, à l’exception d’une hyperbilirubinémie asymptomatique.
En pratique, la prochaine étape majeure qui me tient à cœur est donc de convaincre les laboratoires et les autorités de santé européennes de délivrer une AMM à ce médicament dans cette indication. De manière générale, le plan « France médecine génomique 2025 », qui permet aux patients atteints d’une maladie rare ou d’un cancer de bénéficier d’un séquençage complet, devrait permettre le repositionnement d’autres médicaments qui ciblent des anomalies génétiques.
(1) Geoerger B, Schiff M, Penard-Lacronique V et al. Enasidenib treatment in two individuals with D-2-hydroxyglutaric aciduria carrying a germline IDH2 mutation. Nat Med 2023. 29, 1358-63
doi.org/10.1038/s41591-023-02382-9
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