Par le Pr Denis Collet *
LE PREMIER PLAN Cancer, lancé en 2003 à l’initiative du Président de la République Jacques Chirac a été le point de départ d’une série de modifications en profondeur de la pratique de la cancérologie. Ce programme s’appuyait sur un refus de la fatalité, et avait pour but d’opposer au cancer une politique de santé cohérente, comme cela avait été fait dans le passé pour d’autres maladies, telle la tuberculose.
Ce plan fixait 70 objectifs à atteindre en 4 ans, qui tous n’ont pas été satisfaits. Un deuxième plan a suivi et est en cours jusqu’en 2013. L’objectif est en priorité d’abaisser la mortalité par cancer, mais aussi de faire bénéficier l’ensemble de la population d’une prise en charge homogène et de qualité, et d’atténuer les disparités, et donc les inégalités régionales.
Ces plans concernent tous les aspects de la maladie, depuis le dépistage jusqu’aux traitements, en incluant les soins de support qui sont maintenant parfaitement identifiés, en passant par la recherche, qu’elle soit clinique ou fondamentale.
Les RCP.
L’une des principales modifications dans la pratique de la cancérologie concerne les réunions de concertation pluridisciplinaires ou RCP. Tous les dossiers de patients atteints d’une affection cancéreuse doivent être enregistrés ou discutés en RCP. Les dossiers qui relèvent d’une décision standardisée sont simplement enregistrés et le traitement peut être mis en œuvre sans attendre la décision collective. C’est le cas de la plupart des cancers coliques, qui peuvent être opérés avant d’être présentés en RCP. En revanche, les autres localisations digestives des cancers : œsophage, estomac, foie, pancréas et rectum doivent être systématiquement discutés avant la mise en traitement. La RCP doit réunir plusieurs spécialités ; il est précisé que le chirurgien, qui va opérer le patient ou l’a déjà fait, doit être présent physiquement ou par visioconférence lors de la discussion pluridisciplinaire. Idéalement, un représentant de chaque spécialité doit être également présent : gastro-entérologue, oncologue, radiothérapeute, pathologiste et radiologue. Le médecin traitant est incité à y prendre part à chaque fois que cela est possible, ce qui dans la pratique reste rare sinon exceptionnel. Les RCP émettent des propositions en fonction d’un référentiel de pratique produit par le réseau régional souvent à partir de recommandations nationales, elles doivent être formalisées sous forme d’un compte rendu et d’un projet de soins personnalisé qui doit être remis et commenté au patient et envoyé à chaque médecin concerné. Enfin, les comptes rendus de RCP doivent être insérés dans le dossier patient. Les RCP doivent être évaluées aux plans quantitatifs et qualitatifs.
Comptes rendus opératoire et d’anatomopathologie.
Entre autres documents, le dossier patient comprend deux documents essentiels en cancérologie qui sont le compte rendu opératoire et le compte rendu anatomopathologique.
Le compte rendu anatomopathologique est maintenant standardisé et doit obligatoirement préciser les dimensions de la tumeur, la distance par rapport aux marges circonférentielles et longitudinales pour le tube, le nombre de ganglions examinés et le nombre de ganglions envahis, l’envahissement en profondeur et le grading tumoral. L’ensemble est synthétisé en stade TNM. Le compte rendu opératoire n’est pas encore standardisé de façon aussi rigoureuse, mais il est évident que cela est une nécessité. En effet, il est indispensable de pouvoir établir une description exhaustive de la tumeur et de la cavité abdominale, précisant les organes explorés et la méthode d’exploration : palpation, échographie peropératoire, histologie extemporanée, le niveau des sections vasculaires et l’extension du curage et de la résection, l’extension aux organes de voisinage et les modalités de reconstruction. L’importance des pertes hémorragiques peropératoires et la notion de transfusion doivent figurer, car elles peuvent impacter l’évolution carcinologique. L’élaboration de comptes rendus opératoires standardisés est en cours, et doit devenir dans un proche avenir un critère qualité essentiel.
Les seuils d’activité.
Le débat sur les seuils d’activité a été passionné et parfois douloureux. Actuellement, les textes officiels limitent les seuils à 30 interventions pour cancer digestif par an, et par établissement. Le projet initial était de fixer des seuils par type de cancer : côlon, rectum, œsophage, estomac, foie et pancréas. Cette proposition, très débattue et parfois combattue, a finalement été retirée. Cependant, le projet n’est pas totalement abandonné et resurgira sans doute sous cette forme ou sous une autre dans les années à venir.
Le chirurgien doit avoir une qualification de la spécialité et doit justifier d’une activité régulière en cancérologie digestive (article R.6123-87 du CSP). Là encore, des modifications auront lieu très probablement dans les années à venir, liées à la disparition du DES de chirurgie générale et à la modification du DESC de chirurgie digestive.
Formation et autoévaluation.
Le Code de la Santé Publique prévoit également que soit organisé dans chaque établissement un plan de formation qui doit comporter des formations spécifiques destinées au personnel soignant, qu’une revue morbi-mortalité des patients opérés d’un cancer soit organisée régulièrement, enfin qu’une auto-évaluation quantitative et qualitative de l’activité cancérologique soit réalisée annuellement et transmise anonymisée à l’Institut National du Cancer.
Au total, en quelques années la pratique de la cancérologie notamment digestive, a été radicalement réformée, en vue d’une organisation rigoureuse et encadrée des pratiques, et d’une évaluation qualitative et quantitative. Des progrès majeurs ont déjà été accomplis, dont il est encore trop tôt pour en évaluer l’impact sur la mortalité par cancer. Ils ont été réalisés parallèlement à une structuration de la recherche fondamentale et clinique qui ont gagné en cohérence et en efficacité notamment après la création des cancéropôles. Actuellement, l’évaluation est effectuée dans l’esprit de la démarche qualité, en vue d’une amélioration des pratiques individuelles. Il est probable, sinon quasiment certain, que dans un proche avenir, l’évaluation aboutira à des recommandations, voire des injonctions autoritaires pouvant aller jusqu’à l’interdiction de pratique de la cancérologie. Il faut donc rester très attentif aux évolutions prochaines, dont il ne faut pas perdre de vue qu’elles sont toutes réalisées dans le souci d’une meilleure prise en charge des patients cancéreux.
*Service de chirurgie digestive, CHU de Bordeaux.
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