Quel est l'impact du microbiote digestif sur la réponse immunitaire antitumorale chez des patients atteints de cancers hématologiques ayant bénéficié d'une greffe de moelle osseuse ? Des chercheurs du service d’hématologie-greffe de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP), de l'Université Paris Cité, de l’Inserm, de l'Inrae et de l’université de Genève ont étudié les échantillons de selles et de sang de 55 patients pour répondre à cette question. Les résultats, parus dans la revue « Cell Host & Microbe », montrent que certaines espèces bactériennes protègent du risque de rechute quand d'autres sont délétères.
« L’essai clinique Allozithro, dont les résultats ont été publiés dans le « Jama », a été le point de départ de ce travail, raconte au « Quotidien » le Dr David Michonneau, coordinateur de l’étude. Il visait à évaluer pour la première fois l’effet potentiel de l’azithromycine sur la prévention de certaines complications pulmonaires post-greffe de moelle osseuse que l'on appelle réaction du greffon contre l’hôte (GVHD pour Graft versus Host Disease, NDLR). » Cet essai avait dû être interrompu de manière précoce car le taux de rechute était plus important dans le groupe de patients recevant l'azithromycine par rapport au groupe placebo.
« À la suite de sa publication, la Food and Drug Administration et l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont alerté sur les risques de l’azithromycine pour les patients après greffe de moelle osseuse, ce qui a conduit à un changement des pratiques, avec un recours limité à cet antibiotique », indique le Dr Michonneau, précisant que l’azithromycine était jusque-là couramment utilisée en curatif chez ces patients, de façon empirique.
Une signature microbienne associée à un effet protecteur
Avec ce nouveau travail, les chercheurs ont voulu comprendre comment l’azithromycine influence le risque de rechute en étudiant son impact sur la réponse immunitaire antitumorale. Ils ont eu accès aux échantillons de 55 patients issus de l'étude Allozithro, 27 ayant reçu de l'azithromycine (n = 73 échantillons) et 28 un placebo (n = 75 échantillons).
L'analyse des selles a permis aux chercheurs de classer les échantillons selon quatre entérotypes (signatures microbiennes spécifiques basées sur la composition dans son ensemble du microbiote digestif). Si l'entérotype 2 est associé à une réponse complète vis-à-vis de la maladie hématologique, avec une absence de rechute dans 95 % des cas, les trois autres sont associés à un taux de rechute plus important. « Nous avons pu constater que ces trois entérotypes étaient associés à la prise d’azithromycine, alors que les patients présentant un entérotype 2 étaient en grande majorité du groupe placebo », détaille le chercheur.
Au sein de chaque entérotype, des espèces bactériennes spécifiques ont ensuite pu être identifiées. Certaines espèces sont fortement associées à la survenue d’une rechute après la greffe. C'est le cas de Bacteroides fragilis que l'on retrouve surtout dans l'entérotype 4. À l'inverse, Bacteroides sp DJF_B097 et Prevotella sp DJF_RP53 ont un effet protecteur et sont caractéristiques de l'entérotype 2.
Cibler des espèces spécifiques
« À partir des échantillons sanguins, nous avons pu étudier le métabolome, c'est-à-dire l'ensemble des métabolites issus du métabolisme des bactéries ou des patients, ainsi que le phénotype des cellules immunitaires qui circulent dans le sang, poursuit le Dr Michonneau. Les patients avec un taux élevé de Bacteroides fragilis ont à la fois des métabolites dérivés de cette bactérie dans leur sang et également des lymphocytes T (LT) qui présentent un profil épuisé et sont incapables de développer une réponse immunitaire antitumorale efficace. » Au contraire, en présence de bactéries protectrices et de leurs métabolites, l'on retrouve des LT cytotoxiques activés, capables d’éliminer la tumeur.
« Ces résultats ont un impact important en clinique, car ils montrent d'une part que le microbiote digestif a un impact sur le risque de rechute après greffe et surtout que cet impact est lié à la présence de certaines espèces microbiennes très spécifiques », résume l'hématologue. Au-delà du contexte de greffe, « le fait d'avoir mis en évidence que certaines espèces microbiennes sont capables d’avoir un impact sur les cellules immunitaires pourrait aussi être utile dans la prise en charge des cancers de manière plus générale », espère le Dr Michonneau.
Des approches thérapeutiques ciblant telle ou telle espèce peuvent ainsi être envisagées, « soit pour enrichir le microbiote digestif avec des espèces protectrices, soit pour éliminer les espèces délétères », note-t-il.
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