Succès d’une bronche artificielle dans le cancer

Greffer une aorte pour sauver un poumon

Publié le 07/03/2011
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Crédit photo : DR

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« C’EST PLUS qu’une surprise, c’est magique», s’exclame le Pr Alain Carpentier, connu à travers le monde pour la mise au point de bioprothèses cardiaques, au sujet du succès de la greffe de bronche artificielle chez un patient atteint d’un cancer du poumon réalisée le 28 octobre 2009 par l’équipe de chirurgie thoracique et vasculaire du Pr Emmanuel Martinod à l’hôpital Avicenne de Bobigny.«Personne n’y croyait au début. Il n’y a pas eu de progrès en 50 ans pour l’anastomose broncho-pulmonaire jusque là et toutes les tentatives de greffe de bronche menées par le passé se sont soldées par des échecs. C’est la première fois qu’une équipe la réussit ».

« L’intervention est l’application clinique de 10 années de recherche, explique le Pr Martinod qui mène des études expérimentales inlassablement depuis 1997 au sein du laboratoire du Pr Carpentier. Les prélèvements d’aorte issus de donneurs sont cryoconservés dans des banques multi-organes et les greffes de tissu aortique sont utilisées depuis longtemps en chirurgie vasculaire. L’allogreffe aortique présente l’énorme atout de ne pas nécessiter d’immuno-suppresseurs. Un prérequis indispensable dans une situation de néoplasie. Pour rigidifier ce tissu souple, une endoprothèse sur mesure a été incorporée au greffon ».

Trois facteurs de risque identifiés

« On peut vivre avec un seul poumon, mais la pneumonectomie entraîne à terme une altération des fonctions respiratoires et cardiaques, souligne le Pr Martinod. Or, de tous les traitements, c’est la chirurgie qui assure les meilleurs résultats à long terme.Le but de la bronche artificielle est d’éviter l’ablation totale et de préserver le poumon ». La pneumonectomie est en effet inévitable pour les tumeurs centrales. « Si la mortalité à 3 mois est de 2 % pour une lobectomie dans les tumeurs périphériques, elle peut aller jusqu’à 26 % après pneumonectomie en présence de facteurs de risque bien identifiés ». Ils sont au nombre de 3 : âge › 70 ans, tumeur du poumon droit et radio-chimiothérapie adjuvante.

Restait à trouver le candidat « idéal ». « Notre patient présentait tous les facteurs de risque et refusait de courir le risque d’une pneumonectomie », se souvient le Pr Martinod. Alors que le patient a présenté un grave œdème aigu pulmonaire en post-opératoire, il semble évident pour l’équipe médicale qu’il n’aurait pas pu supporter une ablation totale. Aujourd’hui âgé de 80 ans, le patient vit normalement. « Impossible de deviner en le croisant dans la rue qu’il revient d’aussi loin », ajoute le Pr Martinod.

L’intervention, qui a duré près de 3 heures au total, s’est déroulée en trois temps : ablation de la lésion cancéreuse, anastomose broncho-pulmonaire et mise en place d’un lambeau musculaire autologue autour du greffon. À distance, l’endoprothèse est bien tolérée et il est bien difficile à l’imagerie de distinguer la bronche artificielle de la bronche native.

Régénération d’organe

Et pour cause. « Au-delà de la prouesse chirurgicale, ce succès bouscule les croyances en montrant que la bronche est un organe et pas qu’un simple tube », s’enthousiasme le Pr Carpentier. Chose extraordinaire en effet, l’équipe a constaté l’existence de deux phénomènes inattendus sur l’allogreffon constitué de tissu aortique : une recolonisation de l’épithélium par les propres cellules du patient et, plus mystérieuse encore, une régénération d’îlots de cartilage à partir des cellules souches autologues. Au niveau de l’épithélium, deux types de cellules, ciliées et à mucus, ont envahi la matrice aortique. Pour la première fois, un tissu greffé offre la capacité à un organe de se régénérer.

Si la technique est amenée à se développer, le Pr Martinod nuance ce qu’il faut en attendre. « La bronche artificielle doit être réservée à une population bien sélectionnée, précise-t-il. Ce sont les situations où une pneumonectomie est envisagée chez des sujets ayant des facteurs de risque de mortalité ». Sur les 1 000 à 2000 pneumonectomies réalisées chaque année en France, la bronche artificielle pourrait potentiellement être proposée à 200 ou 300 sujets. Les chercheurs américains, sceptiques au début, commencent à s’intéresser de près à la technique. L’équipe française prévoit de lancer une étude incluant 20 à 30 patients dans les semaines à venir.

Ann Thorac Surg 2011; 91:837-842.doi:10.1016/j.athoracsur.2010.11.013.

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Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8917