LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que vous retenez principalement de ce 14e congrès de la Société francophone de chirurgie oncologique ?
Pr FABRICE LECURU : Ce congrès a été une réussite par l’affluence, mais aussi l’ambiance et la qualité des présentations et des échanges. Près de 600 praticiens venus de la France entière sont venus s’informer et échanger autour des dernières avancées en chirurgie oncologique. Les jeunes chirurgiennes et chirurgiens y prennent une place de plus en plus importante.
La chirurgie oncologique est désormais reconnue en France, comme elle l’est dans les autres pays européens. La nécessité de connaître les différents aspects de l’oncologie, les spécificités chirurgicales, la formation particulière sont des évidences. Il ne manque qu’un diplôme…
Le relèvement des seuils d'activité des établissements est entré en application au 31 mai. Comment se déroulent les choses sur le terrain ?
Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, avait déclaré en 2019 que la prise en charge du cancer de l’ovaire était un scandale en France. Pour certains cancers – ovaire, pancréas, œsophage ou ORL – , des données solides ont montré que l’expertise des équipes était déterminante dans la survie des patients, liée au volume des files actives et à la participation à des travaux de recherche. Ce qui a conduit aux décrets publiés en 2022, qui entrent actuellement en application.
Reste à savoir de quelle manière les agences régionales de santé (ARS) vont s’aligner sur cette politique, sachant que certaines sont très avancées, tandis que d’autres privilégient un discours de proximité. Ce qui à mon avis n’est pas adapté pour ces cancers rares et agressifs. La session du congrès dédiée à ce sujet, avec la participation de l’Institut national du cancer (Inca) et de l’ARS Île-de-France, a montré de vraies avancées.
Quels sont les principaux progrès dans le domaine des cancers de l’endomètre ?
La principale est la classification moléculaire des tumeurs, réparties en quatre sous-types : tumeurs porteuses d’une mutation du gène p53, du gène POL, celles dites instables par mutation d’un des gènes MMR et enfin, la quatrième catégorie, celles ne correspondant à aucune des trois premières. Les plus agressives sont celles mutées p53, celles de meilleur pronostic sont mutées POL.
C’est une révolution, on peut accéder à ce classement, qui a un impact pronostique sur l’espérance de vie des patientes, dès le diagnostic, et adapter les approches. Dans 80 % des cas, cela permet une importante désescalade chirurgicale et parfois des alternatives à la chimiothérapie, comme avec l’immunothérapie. La technique du ganglion sentinelle remplace les curages ganglionnaires réalisés jusqu’en 2020, avec les risques associés bien connus. Dans les années qui viennent, la chirurgie sera très probablement adaptée au type moléculaire de la maladie.
Concernant le cancer du col, quelles sont les nouveautés thérapeutiques ?
Les trois principaux cancers gynécologiques étaient de bons candidats théoriques à l’immunothérapie. On a de bons résultats pour les cancers de l’endomètre, plus de difficultés avec les cancers du col et on est en échec sur l’ovaire. Un essai publié en 2022 a montré un bénéfice en taux de réponse et de survie avec le pembrolizumab pour des patientes en persistance, en récidive ou avec des métastases du cancer du col. C’est une belle avancée, on bénéficie aujourd’hui d'un accès précoce à cette molécule.
De nombreux essais sont en cours en immunothérapie dans le cancer du col, dont certains, prometteurs, pour tenter d’initier une réponse immunologique avant le traitement locorégional par radiothérapie. Une classification moléculaire a été publiée il y a trois ou quatre ans, mais elle ne donne pas encore lieu à des améliorations de prise en charge. Les industriels ne se montrent pas très empressés, moins de 3 000 femmes par an sont touchées en France… Si la stratégie vaccinale était meilleure, on pourrait presque ne plus parler de cancer du col dans notre pays.
Quelle est la situation en termes de prise en charge des tumeurs rares de l’ovaire ?
Chaque année en France, entre 1 500 et 1 700 tumeurs rares de l’ovaire ou gynécologiques sont diagnostiquées. Elles sont centralisées et analysées au sein du réseau Tumeurs malignes rares gynécologiques (TMRG)*. La France est le seul pays au monde à avoir ce type de réseau.
Créé à Lyon en 2009, il donne accès à des relectures anatomopathologiques pour des certitudes diagnostiques – 25 % des cas présentés sont redressés - et à des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) régionales ou nationales. Enfin, ce réseau permet de monter des essais, y compris randomisés, sur les tumeurs rares, ce qui paraissait jusqu’à récemment impossible. Tout confrère ou consœur recevant une femme avec une tumeur rare gynécologique ne doit pas hésiter à le solliciter. C’est essentiel pour les patientes.
Quelles sont les perspectives pour les prochaines années ?
Pour les patientes, l’accès aux soins risque malheureusement d’être compliqué dans les années qui viennent. Les délais de consultation peuvent aller jusqu’à neuf mois, ce qui est problématique. On a commencé à former plus d’internes il y a cinq ans, ils vont arriver progressivement sur le terrain, mais les effets de la réduction du numerus clausus sont là.
Les innovations thérapeutiques ouvrent des espoirs importants pour les patientes confrontées à des cancers gynécologiques. En particulier, on a un accès aux informations du système national de données de santé (SNDS) qui permet de reconstituer les parcours complets de soins de dizaines de milliers de patientes. L'Institut Curie a commencé en 2016 pour celles atteintes de cancer du sein, avec de premières publications sur l’effet des comédications. On a commencé un travail similaire sur les données des autres cancers gynécologiques. C’est une première en Europe. Les premiers résultats sont attendus à horizon 2024-2025.
* réseau TRMG : www.ovaire-rare.org
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