Le microbiote joue un rôle dans la maturation du système immunitaire contre les cancers. Mais la greffe fécale est-elle une piste efficiente en clinique comme le rationnel scientifique le laisse présager ? Oui, répondent pour la première fois deux petits essais publiés dans le même numéro de « Science » et menés dans le mélanome métastatique.
« Ce sont deux essais majeurs qui appuient l’ensemble de nos travaux sur le microbiote dans la résistance à l’immunothérapie, se réjouit la Pr Laurence Zitvogel, oncologue clinicienne à Gustave Roussy, professeur en biologie à l’université Paris-Saclay et directrice de recherche à l’Inserm. C’est-à-dire tout ce qui avait été démontré par nos équipes à partir de 11 000 cas et dans 38 études sur les anti-PD1 et les anti-CTLA4 dans tous les cancers ».
Jusque-là, le transfert de microbiote n’avait fait la preuve de son intérêt qu’en préclinique : dans les modèles murins, la greffe fécale entraîne l’acquisition d’un phénotype de résistance ou à l’inverse de sensibilité à l’immunothérapie selon qu’elle est prélevée chez des souris donneuses elles-mêmes résistantes ou sensibles.
L’enjeu thérapeutique est important : seuls 10 à 20 % des patients ayant un mélanome métastatique ont une réponse complète aux inhibiteurs de checkpoint anti-PD1, et beaucoup de ceux ayant une réponse partielle finissent par échapper à l’effet du traitement. « Quand un patient est enraciné dans la résistance aux anti-PD1 à trois mois, il n’est pas forcément possible de rattraper en seconde ligne, explique la Pr Zitvogel. Les anti-CTLA4 sont capables de le faire dans certains cas mais au prix d’une forte toxicité ».
Deux essais totalisant 25 patients
Les deux récents essais ont été menés en parallèle, l’un par une équipe israélienne dirigée par Erez Baruch du centre médical Sheba (Tel HaShomer) [1] et l’autre américain avec le soutien des Instituts nationaux de la santé (NIH) sous la coordination de Hassane Zarour et Diwakar Davar (2). Les chercheurs israéliens ont inclus 10 patients résistants aux anti-PD1, l’équipe américaine 15.
La greffe de matière fécale – prélevée chez des donneurs répondeurs aux anti-PD1 – était réalisée, après déplétion par antibiotique, d’abord par coloscopie puis entretenue régulièrement par capsules orales. Les équipes ont ensuite constaté une réponse chez neuf des 25 participants : trois dans l’essai israélien (une réponse complète, deux partielles) et six dans celui américain (trois réponses objectives et trois durables > 12 mois). Les deux essais ont évalué la réponse avec le même critère validé dans les tumeurs solides (iRECIST).
Dans la publication israélienne, les chercheurs illustrent l’effet constaté chez le patient ayant une réponse complète par des clichés de tomographie par émission de positons (TEP) avant le traitement, à J67, J111 et J201. Les lésions, visibles initialement en inguinal et sur la jambe gauche, ont totalement disparu sur le dernier cliché, après une augmentation transitoire à J67, non pas en raison d’une prolifération tumorale mais d’un phénomène, dit de « pseudoprogression », lié à l’influx local de cellules immunitaires antitumorales.
Sélectionner les « bons » donneurs
Finalement, seuls moins d’un tiers des patients greffés sont répondeurs. Comment améliorer les performances ? La sélection des donneurs est un point essentiel. « La recherche en est à cette étape : déterminer les caractéristiques de ce qui fait un "bon" et un "mauvais" microbiote, explique l’oncologue de Gustave Roussy. Le décodage de la taxonomie, c’est ce à quoi nous travaillons actuellement dans notre équipe ».
Le seul critère retenu dans les études était le fait que les donneurs soient répondeurs aux anti-PD1, mais « ils pouvaient l’être pour d’autres raisons que le microbiote, poursuit-elle. Faire une greffe avec moins d’une chance sur deux de réussite, c’est une perte de chance inacceptable pour les patients ». D’ailleurs, dans l’étude israélienne, l’ensemble des receveurs répondeurs ont été greffés à partir du même donneur.
L’avenir est-il à l’administration de probiotiques d’intérêt appelés « oncobiotiques » ? « C’est ce que l’on aimerait, explique la Pr Zitvogel. Mais il faut être pragmatique et aller pas à pas. Dans la greffe de moelle allogénique, cela fait plus de 50 ans que l’on veut aller vers une méthode plus sélective et c’est toujours le traitement de référence. Avant les probiotiques, il faut faire de la greffe fécale, tout le monde doit s’y mettre, et ici à Gustave Roussy des essais cliniques vont être lancés ».
Un effet systémique sur le tonus inflammatoire
Confirmation importante des deux essais : la greffe fécale se traduit par des changements de microbiote et des effets à distance, dans les différentes localisations cancéreuses et dans le microenvironnement tumoral. Ainsi sont rapportés une modification de la composition du microbiote et de ses signatures protéomiques et métabolomiques, une activation des cellules T CD8 ainsi qu’une diminution de l’IL-8 et des cellules myéloïdes qui en sont productrices.
« La flore intestinale joue sur le tonus inflammatoire, décrit la chercheuse. Les marqueurs proangiogéniques proinflammatoires, tels que l’IL-8, diminuent, les lymphocytes tueurs sont activés, davantage de chimiokines entraînant l’activation des cellules B productrices d’anticorps circulent, les métabolites changent avec des sels biliaires et des carnitines retrouvés dans le sang. Globalement, l’inflammation de l’hôte change et le phénomène est décompartimentalisé ».
Cette preuve de principe obtenue avec l’immunothérapie dans le mélanome métastatique doit être confirmée, améliorée et testée dans d’autres cancers. Précédemment, en 2016, l’équipe de la Pr Zitvogel avait déjà montré que deux souches bactériennes augmentaient l’efficacité d’un autre type d’anticancéreux, le cyclophosphamide. Le microbiote pourrait-il à terme devenir un paramètre faisant partie intégrante de la prise en charge des cancers ? « On est très loin d’en être là, tempère la Pr Zitvogel. Mais c’est possible qu’à l’avenir la greffe fécale soit utilisée dans les chimiothérapies, les CAR-T cells ou la greffe de moelle allogénique. Tous les traitements contre le cancer mettent en branle le système immunitaire, or c’est ce que fait naturellement le tonus intestinal ».
(1) E. Baruch et al. Science 2021;371:602-9
(2) D. Davar et al. Science 2021;371:595-602
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