D’ÉNORMES PROGRÈS ont été accomplis dans le traitement des cancers du sein, ce qui s’est traduit par une nette amélioration de la survie sans récidive, mais il n’en demeure pas moins que, au-delà de la maladie elle-même, les moyens thérapeutiques employés affectent notablement la vie des patientes.
• Le syndrome postcritique.
En règle générale, les femmes traitées pour un cancer du sein vivent relativement bien la phase de prise en charge et leur suivi en hôpital de jour, car, au-delà de la sollicitude que leur témoignent leurs proches, elles se sentent entourées par le personnel soignant. En revanche, lorsque cet accompagnement médical de proximité prend fin, elles éprouvent souvent une anxiété croissante liée au fait qu’elles ont le sentiment d’être « abandonnées dans la nature ». C’est le syndrome postcritique, dominé par la crainte que, en dépit du traitement, la maladie est toujours présente et continue d’évoluer : si elles éprouvent une migraine, elles sont convaincues d’avoir une métastase cérébrale, de même qu’un banal mal de dos est pour elles l’expression d’une métastase cérébrale…
Le médecin de famille se trouve, dès lors, en première ligne pour gérer cette angoisse. Il lui revient la tâche importante de rassurer sa patiente en lui expliquant qu’il s’agit d’une phase normale de l’évolution de sa maladie, tout en prenant les mesures médicales appropriées pour soulager les troubles qu’elle invoque et apaiser ses craintes.
Cela étant, le médecin ne doit pas en faire trop. Il doit résister à la tentation de multiplier les explorations, car, outre le fait qu’elle aurait l’effet inverse de celui recherché en raison de l’anxiété qu’elle ne manquerait pas de générer chez l’intéressée, cette attitude n’est nullement validée par les études. C’est pourquoi les bonnes pratiques aujourd’hui préconisées en matière de surveillance après traitement d’un cancer du sein consistent à limiter les examens complémentaires. Le Dr Pascale This considère ainsi que la réalisation d’une mammographie annuelle constitue la modalité de surveillance la plus appropriée pour dépister une éventuelle récidive.
• Les conséquences du traitement.
Au-delà du syndrome postcritique, les moyens thérapeutiques qui ont été mis en uvre pour traiter une femme atteinte d’un cancer du sein vont, bien sûr, avoir un impact sur de multiples aspects de sa vie.
Le traitement chirurgical a ainsi des conséquences psychologiques très différentes selon qu’il s’est limité à une tumorectomie avec ablation des ganglions sentinelles, dont le résultat demeure esthétique, ou à une mammectomie qui altère gravement l’image corporelle de la femme ainsi traitée. Dans ce dernier cas, la prescription d’une prothèse mammaire externe l’aidera à surmonter ce traumatisme psychologique en attendant de pouvoir l’adresser à un chirurgien reconstructeur dès que cela sera possible. De nos jours, une reconstruction mammaire peut, en effet, être proposée à une majorité de patientes. Lorsque la mammectomie a été suivie d’une radiothérapie, cela tend à compliquer la reconstruction mammaire, mais certaines techniques sont néanmoins disponibles, qui donnent de très bons résultats esthétiques.
La chimiothérapie pose un problème différent. Il est, en effet, très fréquent qu’elle perturbe les cycles menstruels, la réapparition des règles étant très variable d’une femme à l’autre : certaines deviennent définitivement ménopausées ; d’autres présentent une interruption transitoire des cycles, suivie d’une réapparition des règles ; d’autres encore demeurent réglées pendant toute la durée du traitement. Il est donc indispensable que ces femmes aient recours à une contraception locale (préservatif ou DIU non hormonal) tout au long de la chimiothérapie, faute de quoi elles risquent de passer sans en avoir conscience de l’aménorrhée induite par le traitement à celle découlant d’une grossesse.
• L’hormonothérapie adjuvante.
Celle-ci vise à diminuer le risque de récidive ; l’observance constitue donc un élément clé. Le médecin généraliste a, ici aussi, un très important rôle de soutien à jouer : il lui revient d’aider sa patiente à accepter son traitement en lui expliquant en quoi il est essentiel qu’elle le suive scrupuleusement, mais aussi de gérer les effets indésirables. Ce sont ceux des antiaromatases qui réclament le plus d’attention : la prescription d’antalgiques et d’anti-inflammatoires permettra de prendre en charge les douleurs articulaires et celle d’un bisphosphonate traitera le risque ostéoporotique lié à la fragilisation osseuse.
• La grossesse.
Longtemps, il a été déconseillé aux femmes ayant présenté un cancer du sein d’avoir ensuite des grossesses. On sait aujourd’hui que la grossesse ne modifie pas le pronostic, dès lors que la femme observe un certain délai après la fin du traitement ; en particulier, le risque de récidive ne s’en trouve pas augmenté. Toutefois, ce risque étant réputé très élevé au cours des trois premières années qui suivent le traitement, la plupart des équipes préconisent d’attendre au moins trois ans avant d’envisager une grossesse, sous réserve qu’il n’y ait pas eu d’évolution défavorable entre-temps. Dans l’intervalle, une contraception locale est hautement souhaitable.
Se pose toutefois la question de la fertilité, dans la mesure où la chimiothérapie diminue fréquemment la réserve ovarienne, de sorte que, trois ans plus tard, la femme peut se trouver en phase de ménopause ou de périménopause. Peu d’options peuvent alors lui être proposées, en dehors du don d’ovocytes.
• Les troubles de la sexualité.
La perception qu’a la femme de sa propre attractivité sexuelle est un élément important, car cela conditionne une grand part de sa libido. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’une femme à qui on a enlevé un sein, qui a perdu ses cheveux et sa pilosité pubienne et qui a pris du poids du fait de la chimiothérapie ait une sexualité perturbée. Mais, observe le Dr Pascale This, si l’on revoit cette même femme trois ans plus tard, alors qu’elle a bénéficié d’une reconstruction mammaire, que ses cheveux et ses pilosités ont repoussé et que ses règles sont réapparues, on s’aperçoit que ses troubles sexuels ont totalement disparu.
Le médecin traitant, mais aussi le gynécologue, ont donc un important rôle de soutien à jouer pendant cette phase critique durant laquelle leur patiente a perdu son image de soi. Néanmoins, lorsque le couple est confronté à de réels problèmes, il peut être utile de l’orienter vers un sexologue.
Nombre de femmes éprouvent de la difficulté à parler des problèmes intimes qu’elles éprouvent du fait de leur cancer ou de son traitement. Leur médecin doit donc employer beaucoup de tact et de psychologie pour les amener à se confier.
En conclusion, il convient de souligner que la tendance actuelle est de plus en plus à la constitution de réseaux entre oncologues, gynécologues et médecins généralistes de façon à mieux coordonner la prise en charge et le suivi des femmes atteintes d’un cancer du sein.
D’après un entretien avec le Dr Pascale This, gynéco-endocrinologue à l’Institut Curie, Paris.
* Le guide de la femme après 40 ans. Éditions Odile Jacob, Paris.
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