Les interactions des bactéries du microbiome avec leur hôte influencent fortement la tumorogenèse, la progression du cancer et la réponse au traitement, comme l'ont montré de nombreux travaux. Qu'en est-il pour les champignons, également présents dans le microbiome mais rarement étudiés ? Deux équipes de recherche, l'une américaine, l'autre israélienne, ont publié simultanément dans la même revue de « Cell » des conclusions concordantes : le mycobiote est associé au cancer.
Les Américains des universités de Duke et de Cornell se sont concentrés sur certaines tumeurs, en particulier gastro-intestinales et pulmonaires. Quant à l'équipe israélienne coordonnée par l'institut des sciences Weizmann (Rehovot), elle a établi un atlas très complet dans 35 types de cancer.
Les champignons et les bactéries peuvent co-coloniser le tube digestif, la peau, l'arbre respiratoire et l'appareil reproductif, formant un écosystème complexe microbe-microbe et hôte-microbe. « Un faisceau croissant de preuves lie le microbiome humain au cancer et à ses conséquences, y compris bactéries, virus et champignons, rappellent les chercheurs des universités Cornell et de Duke. Ces dernières années, des espèces bactériennes ont été associées au développement du cancer et à sa progression ». L'exemple le plus évident est Helicobacter pylori, responsable d'environ 75 % du risque attribuable de cancer gastrique. D'autres bactéries ont été identifiées pour leur rôle dans le cancer colorectal, telles que Escherichia Coli ou encore Bacteroides fragilis. Un trait commun réside dans leur capacité à moduler l'immunité de l'hôte et à provoquer une inflammation chronique.
Les deux équipes scientifiques rapportent une association spécifique entre champignons et cancers. Un constat tiré par l'équipe israélienne à partir de quatre cohortes indépendantes totalisant 17 401 prélèvements (tissulaires, sanguins, plasmatiques) issus de 35 types de cancers. Outre la localisation intracellulaire et l'abondance selon le type de cancer, les chercheurs ont caractérisé la spécificité des communautés fongiques associées à chaque cancer, les interactions champignons-bactéries-immunité ainsi que les biomarqueurs diagnostiques et pronostiques.
Des micro-environnements non compétitifs
Dans le détail, l'équipe américaine montre de son côté l'association de Candida avec les cancers gastro-intestinaux : les voies pro-inflammatoires étaient stimulées dans les cancers de l'estomac, tandis que l'adhérence cellulaire était diminuée avec un risque métastatique augmenté dans les cancers coliques.
« La coloration histologique fongique des prélèvements tissulaires confirme la présence intratumorale et une association spatiale fréquente avec les cellules cancéreuses et les macrophages », rapporte l'équipe israélienne. De plus, la tumeur semble abriter des écologies multiples bactériome/mycobiome avec « des micro-environnements plus permissifs, que compétitifs » et des réponses immunitaires distinctes. Il existerait des mycotypes spécifiques selon l'âge, le sous-type tumoral, le tabagisme, la réponse à l'immunothérapie et la survie.
Marqueurs diagnostiques et pronostiques
« L'ADN fongique associé aux tumeurs pourrait servir de marqueurs diagnostiques ou pronostiques », suggère l'équipe américaine. Une piste que corroborent les chercheurs israéliens à l'aide de l'intelligence artificielle et des données de survie issues des cohortes. « Les champignons ne sont pas très abondants, mais sont immunologiquement puissants, de façon analogue aux cellules PD1+ dans l'immunothérapie », écrivent-ils.
L'association de champignons est constatée avec différents paramètres cliniques : la survie globale dans le cancer du sein, la survie sans progression dans le cancer de l'ovaire, la réponse à l'immunothérapie dans le mélanome et la détection de cancer à un stade précoce. Ce qui va dans le sens de leur utilité comme biomarqueurs, y compris à stade précoce.
Quant à la possibilité de cibles thérapeutiques, les chercheurs américains suggèrent que « la prise en charge efficace des infections à Candida et de l'inflammation associée pourrait être une option raisonnable co-thérapeutique dans le cancer ». Mais l'équipe israélienne s'interroge : « bien que notre étude élargisse le paysage du microbiome cancéreux, nos résultats n'établissent pas de causalité », tempèrent les auteurs. Une inconnue qu'il reste à éclaircir, abonde Karen O'Leary, dans un éditorial (3) publié dans « Nature Medicine » au titre explicite « Les champignons dans les cancers : témoins innocents ou complices cachés ? ».
(1) A. Dohlman et al, Cell, septembre 2022. doi: 10.1016/j.cell.2022.09.015
(2) L. Narunsky-Haziza et al, Cell, septembre 2022. doi: 10.1016/j.cell.2022.09.005
(3) K. O'Leary et al, Nature Medicine, 2022. doi.org/10.1038/d41591-022-00100-5
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