« DEPUIS Tchernobyl, le contexte en hématologie a complètement changé, s’exclame le Pr Éliane Gluckmann, hématologue à l’hôpital Saint-Louis, connue à travers le monde entier pour avoir réalisé en 1987 la première greffe de sang de cordon chez un enfant leucémique. De grands progrès ont été réalisés, tant pour les allogreffes de moelle de donneur qu’avec les cellules souches issues de sang de cordon. » Sans nul doute, la communauté médicale est bien mieux armée aujourd’hui pour prendre en charge un syndrome hématologique secondaire à une irradiation aiguë qu’elle ne l’était il y a une vingtaine d’années. Le Groupe européen pour la transfusion de sang et pour la transplantation de moelle osseuse (EBMT) a ainsi proposé de l’aide aux Japonais pour la prise en charge des travailleurs irradiés sur le site nucléaire de Fukushima.
Dose et hétérogénité de l’irradiation
« Les avancées technologiques ont permis de maintenir en vie des patients irradiés à forte dose », précise le Pr Thierry de Revel, chef de service du service d’hématologie spécialisé dans la prise en charge des irradiés-contaminés à l’hôpital des instructions des armées de Percy (Clamart). À Tchernobyl, sur les 13 liquidateurs greffés, seuls deux ont survécu, non pas grâce à la greffe mais par reconstitution autologue. La technique était moins performante, avec davantage de toxicité, de rejet et de réaction du greffon contre l’hôte. Il n’existait pas non plus de banques de sang de cordon offrant la possibilité de greffer sans délai. Certaines greffes de moelle n’ont pas été réalisées dans des conditions HLA-identiques. »
« Il faut savoir que le pronostic des irradiés n’est pas pour autant assuré, explique le Pr Thierry de Revel. L’irradiation à forte dose touche d’autres organes que la moelle osseuse, tel que le tube digestif, les poumons ou les reins. Le pronostic tient maintenant davantage aux lésions radio-combinées. Si l’on sait maintenir en vie les patients irradiés, ils ne meurent plus d’un syndrome hématologique mais d’une défaillance multiorgane. » Comme ce fut le cas en 2002 pour les deux travailleurs irradiés greffés suite à l’accident sur le site de Tokaimura. « Les brûlures thermiques et radiologiques, ainsi que l’existence de fractures osseuses, grèvent aussi le pronostic en majorant le risque infectieux », ajoute le spécialiste.
Jamais d’urgence à la greffe
Pour décider de réaliser une greffe de moelle, deux facteurs sont essentiels. « La dose et le degré d’hétérogénéité de l’irradiation, détaille le spécialiste. L’irradiation est mesurée à l’aide de techniques de dosimétrie très fines.Au-delà d’une irradiation de 5 grays, la reconstitution spontanée peut prendre beaucoup de temps. Au-delà de 12 grays, le succès de la greffe est très compromis par le risque d’atteintes viscérales très graves, en particulier celui de nécrose digestive. La greffe est ainsi proposée pour une irradiation comprise entre 6 et 10-11 grays. Au-delà de 7 grays, le degré d’hétérogénéité est un facteur important. S’il existe des foyers résiduels d’hématopoïèse au sein de la moelle osseuse, les chances de reconstitution et de sortie d’aplasie, à l’aide de facteurs de croissance GM-CSF et d’érythropoïétine, sans avoir recours à la greffe, sont meilleures. »
L’hématologue insiste à ce sujet sur un point essentiel. « Il n’y a jamais d’urgence à réaliser la greffe chez un patient en aplasie médullaire radio-induite. On évalue d’abord la possibilité d’une restauration spontanée après 3 semaines de traitement par facteurs de croissance. » En l’absence de lésions radio-combinées, le pronostic devient comparable celui d’une greffe de moelle hors contexte d’irradiation. « Les chances de succès de la greffe sont alors d’environ 50 à 60 %, estime le Pr Thierry de Revel. Les comorbidités du patient et l’âge sont déterminants. » L’hématologue insiste sur le fait que l’irradiation aiguë des « liquidateurs » est une situation particulière radicalement différente de l’exposition environnementale à faible dose, où le risque de cancérogénèse et de leucémogenèse apparaît à long terme.
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