L'engouement de la recherche pour l'odorat ces dernières années annonce-t-il une révolution en médecine ? C'est ce que laissent présager les résultats de nombreuses études sur les signaux chimiques olfactifs des maladies. Les odeurs, via les composés volatils de l'haleine, pourraient être utilisées en routine pour le diagnostic.
Une étude internationale récente publiée fin décembre 2016 dans « ACS Nano », marque un tournant. « C'est la première fois en 10 ans de recherche qu'une étude aussi large est menée sur la signature olfactive des maladies », s'enthousiasme Roland Salesse, ingénieur agronome chercheur dans l'unité Neurobiologie de l'Olfaction qu'il a créée à l'INRA.
Les nez électroniques de dernière génération composés de nanocapteurs, comme celui mis au point par Hossam Haick de l'Institut d'Israël de Technologie Technion (Haïfa) dans l'étude, offrent un potentiel très séduisant. Pour Roland Salesse, ces outils ont tous les avantages, « plus petits, faciles d'utilisation, rapides, non invasifs, précoces et peu chers. » D'un coût de quelques milliers d'euros en recherche, le prix des nanocapteurs pourrait chuter à quelques dizaines d'euros en production en série.
À partir de l'haleine de plus de 1 400 sujets (la moitié ayant une maladie, l'autre en bonne santé) dans 17 maladies différentes, l'équipe (Israël, France, États-Unis, Chine, Lettonie) dirigée par Hossam Haick, fait la preuve en éliminant tout facteur confondant (âge, sexe, tabac) et avec une exactitude moyenne de 86 %, qu'un nez électronique permet à la fois la détection et la distinction de différentes maladies entre elles. « Des maladies, même très voisines, par exemple un Parkinson idiopathique et un syndrome parkinsonien atypique, ne se recouvrent pas complètement, suffisamment pour pouvoir être distinguées », explique Roland Salesse.
Empreintes d'odeur
Tout repose sur l'utilisation de nez électroniques, ces dispositifs utilisés depuis longtemps par l'industrie agroalimentaire, pour vérifier l'absence d'ergot de seigle dans les céréales ou l'origine des matières premières (lait de plaine ou de prairie), ou encore la fraîcheur de denrées périssables (poisson). « L'idée du nez électronique est de tirer un portrait-robot d'une odeur choisie, explique Roland Salesse. Il ne s'agit pas d'une analyse chimique de l'ensemble des composants, ce qui est beaucoup plus compliqué. »
C'est Krishna Persaud, chercheur à Manchester, qui a lancé dans les années 1980, le concept de nez électronique : les composés volatiles modifient les propriétés au sein de conducteurs électriques et le déplacement collectif induit par l'ensemble induit un signal particulier. « Contrairement aux nez utilisés dans l'industrie agroalimentaire ou à l'alcootest, qui est un nez très simplifié reconnaissant juste l'alcool, le "pattern" des composés volatils reconnu dans l'haleine des patients par notre nez électronique n'était pas prédéfini, explique Sylvia Cohen-Kaminsky. Nous n'avions aucune idée préconçue des odeurs de la maladie ».
Treize composés volatiles suffisent à signer les maladies
Afin de mieux comprendre les voies métaboliques impliquées et d'adapter les nanocapteurs, les chercheurs ont analysé en détail et de façon indépendante (chaque patient soufflait dans deux ballons) les signatures olfactives par la méthode GC-MS associant la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse. « Sur les 150 composés volatiles détectables, une dizaine d'entre eux, 13 exactement, suffit à signer une maladie, souligne Roland Salesse. Il peut s'agir des mêmes entre deux maladies, mais à des concentrations différentes ».
L'éventail des maladies détectables est large. Parmi les 17 maladies testées, beaucoup de cancers (poumon, tête et cou, colorectal, ovaire, prostate, vessie, reins), mais aussi des pathologies digestives (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, syndrome du côlon irritable), des maladies neurologiques (Parkinson, Parkinson atypique, sclérose en plaques), l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), la toxémie gravidique ou des maladies chroniques du rein.
Le champ de l'analyse olfactive semble plus vaste encore, comme le suggèrent des publications dans les maladies infectieuses ou cardio-vasculaires. « C'est incroyable comme de tout petits massifs de cellules peuvent donner des messages aussi clairs, s'étonne Roland Salesse. En cardio-vasculaire, ce peut être intéressant avec une détection précoce, par exemple avant un infarctus ».
Il reste du chemin avant l'application en pratique, « des évaluations sur de larges populations, de la standardisation, des banques d'odeurs des maladies, des certifications, des marquages CE », explique Sylvia Cohen-Kaminsky. Pour la chercheuse, si l'utilisation à des fins diagnostiques est encore loin, « le dépistage est déjà un objectif intéressant, peu invasif et économique, comme l'est également le suivi ». Plusieurs projets de recherche européens sont en cours, comme le Sniffphone de Hossam Haick pour du dépistage à l'aide d'un nez électronique installé sur smartphone.
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