Que l’on ne s’y méprenne pas, l’oncologie intégrative (OI) n’est pas une alternative au traitement du cancer, le recours exclusif aux thérapies complémentaires (TC) est définitivement une perte de chance. Mais il faut se rendre à une autre évidence : les patients y ont souvent recours sans en informer l’équipe référente.
« C’est pourquoi il paraît préférable d’inviter le patient à ouvrir le dialogue sur cette thématique et faire avec lui une alliance thérapeutique, explique la Dr Violaine Forissier, onco-radiothérapeute à Marseille. Cela permet de limiter le risque d’interactions médicamenteuses, de repérer déviances et dérives, de proposer des TC validées. Déployons ensemble le care comme allié thérapeutique du cure ! ».
Formalisée depuis plus de vingt ans par les Anglo-Saxons au travers de la Society of Integrative Oncology (SIO) [1], l’approche, qui est aussi implantée en Europe (Suisse, Allemagne, Benelux), se développe en France avec la création en 2023 de la Société française d’oncologie intégrative (SFOI), dont le premier congrès se tiendra le 8 novembre 2024. La SIO, qui fait référence, a déjà émis, avec un panel d’experts de l’American Society of Clinical Oncology (Asco), plusieurs recommandations (prise en charge de la douleur, des symptômes anxiodépressifs, de l’asthénie).
Alors que le patient peut vivre les traitements comme une dépossession de sa santé, les TC lui permettent de devenir acteur, d’améliorer sa qualité de vie et ainsi de reprendre espoir. « L’empowerment est un précieux allié thérapeutique », observe la Dr Forissier, qui invite ses collègues à ouvrir des espaces de discussion, malgré le manque de temps. Du côté des soignants, « promouvoir des espaces d’écoute au cœur des soins techniques redonne du sens », met-elle en avant quand la profession peut souffrir d’épuisement et de la déshumanisation des soins.
Des initiatives à Marseille, Lyon ou Clermont-Ferrand
À la clinique de Bonneveine à Marseille, les patients en cours de traitement oncologique ou en rétablissement bénéficient de parcours de soins personnalisés en hôpital de jour, sous la responsabilité d’oncologues et coordonnés par un infirmier diplômé d’État (IDE) coordinateur en santé intégrative. Ils se déroulent dans un lieu de soin distinct du centre référent délivrant les traitements oncologiques spécifiques (AP-HM, Institut Paoli-Calmettes, cliniques privées ou CH périphériques) pour que la personne ne soit pas limitée à sa maladie.
Cela change radicalement le vécu du traitement
Dr Joël Fleury, onco-hématologue à Clermont-Ferrand
À Lyon, une consultation d’OI par une onco-pneumologue s’est ouverte en 2021 dans le centre Léon-Bérard (2), au sein du département interdisciplinaire des soins de support en oncologie (Disspo). Les patients sont adressés par leur oncologue ou par les infirmières de coordination. Certaines TC sont accessibles dans le centre : aromasticks anxiolytiques, antinauséeux, hypnose médicale, méditation pleine conscience, réflexologie plantaire.
À Clermont-Ferrand, au pôle santé République (groupe Elsan), une association finance les professionnels (art-thérapeute, socio-esthéticienne, masseuse bien-être, neuropsychologue, coach d’activité physique adaptée…) qui interviennent en hôpital de jour, pendant les traitements. Par exemple, l’art-thérapeute vient dans la chambre proposer ses services au fauteuil. « Cela change radicalement leur vécu du traitement, les déconnecte de la réalité ambiante », témoigne le Dr Joël Fleury, onco-hématologue du centre citant une de ses patientes « Je ne viens pas en chimio, je viens peindre ! ».
L’après-cancer dans le continuum de soins
Les conséquences du cancer pèsent lourdement sur la vie des patients dans toutes ses dimensions (physiques, psychologiques, conjugales, familiales, amicales, sociales, professionnelles). Très souvent, après les traitements, le patient se sent incompris par le monde qui continue à avancer et se retrouve dans un état d’isolement. Plus des trois quarts des patients présentent encore au moins une séquelle du cancer ou de ses traitements seize ans après, selon l’Observatoire de la Ligue contre le cancer en 2022 (3). Un constat qu’entend améliorer la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030 à travers 77 mesures, notamment de soins de support.
Le traitement se complexifiant, des effets indésirables nouveaux apparaissent pour lesquels les réponses en médecine conventionnelle peuvent ne pas être optimales. Dans le cancer du sein, l’hormonothérapie adjuvante simple ou par double blocage est un exemple typique de la diversité et la complexité de prise en charge des symptômes (fatigue, bouffées de chaleur, douleurs musculosquelettiques, prise de poids, troubles sexuels…). Exercice physique, thérapie cognitive, acupuncture, alimentation ont alors toute leur place dans le panel des soins. Les neuropathies périphériques après la prise du paclitaxel peuvent devenir très invalidantes et l’utilisation de l’acupuncture peut s’avérer efficace avec une tolérance très satisfaisante.
Les récents médicaments d’immunothérapie s’accompagnent d’effets indésirables immuno-induits qui peuvent survenir à tout moment, durant le traitement mais aussi après, ce qui nécessite une vigilance accrue. Ils peuvent toucher la peau (rougeur diffuse), les poumons (essoufflement, toux), le foie et les organes endocriniens (hypophyse, thyroïde, surrénales) ; la prise en charge conventionnelle se limite quasi exclusivement à la corticothérapie. Par ailleurs, les thérapies ciblées par voie orale ont de nombreuses interactions médicamenteuses mais aussi avec des produits de phytothérapie. Leurs effets secondaires, notamment asthénie, perte d’appétit et troubles digestifs peuvent bénéficier avec succès des TC.
De plus, les pathologies se chronicisent ; grâce aux traitements, la maladie ralentit. Sans que la guérison puisse être atteinte, le patient doit apprendre à vivre avec ses traitements. Tout l’enjeu des TC sera de maintenir la qualité de vie du patient qui a alors besoin de réinvestir des espaces de vitalité. « En partant de la pathologie, le professionnel de santé accompagne son patient pour promouvoir sa santé ; cette démarche rejoint le concept de salutogenèse (développement d’un environnement propice à la santé, NDLR) », pointe la Dr Forissier. La culpabilisation n’est pas de mise, le patient agira à son niveau sur ses habitudes d’hygiène de vie, cela doit être signifiant pour lui.
Acquérir une bonne hygiène de vie peut diminuer de 30 % les risques de récidive d’un cancer
Dr Joël Fleury, onco-hématologue
Un rationnel scientifique en appui
Cette approche est renforcée par les études les plus récentes sur les interactions entre hôte et tumeur. Dans la cellule cancéreuse, deux types de dérégulation participent à la tumorogenèse : génétiques (par mutations de gènes) et épigénétique (par inactivation des gènes suppresseurs de tumeur). Cependant, les modifications épigénétiques reposent sur des mécanismes réversibles. On peut être acteur de sa santé à tout âge ! Il existe des facteurs reconnus, liés à l’hygiène de vie, qui modulent l’expression de notre épigénome de manière favorable : alimentation saine et équilibrée, activité physique régulière, gestion du stress, évitement des addictions et vie sociale harmonieuse. Ces paramètres sont pris en charge par les soins de support. « Acquérir une bonne hygiène de vie peut diminuer de 30 % les risques de récidive d’un cancer ! », rappelle le Dr Fleury.
Ces lifestyle interventions présentent des bénéfices bien décrits pour les survivants du cancer. En agissant sur le microbiote, le métabolisme, l’inflammation, le système hormonal, autrement dit l’ensemble de l’écosystème du patient, ces thérapies écologiques font l’objet de recherches récentes (4) qui démontrent l’intérêt de les combiner aux thérapies existantes. L’immunothérapie et les thérapies ciblées ont introduit un changement de paradigme, mais pour améliorer la performance de ces traitements innovants, il ne faut pas omettre de prendre en charge la personne malade dans sa globalité en proposant des approches complémentaires. Aujourd’hui, on ne traite pas un cancer, on soigne une personne atteinte d’un cancer. Ce pourrait être une définition de l’oncologie intégrative.
(1) W. Balneaves LG, et al., J Natl Cancer Inst Monogr. 2017;2017(52).
(2) B. Mastroianni, et al., Bulletin du Cancer, volume 109, issue 12,2022, p1308-1314.
(3) Observatoire sociétal des cancers, La Ligue contre le cancer, 2022.
(4) Kroemer G, et al.,. Nat Med. 2023 Jan;29(1):59-74.
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