La prévention reste insuffisante pour préserver les soignants des risques d'exposition aux médicaments cytotoxiques, démontre un article de Sophie Ndaw (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, INRS) et coll. publié dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » du 22 mai, consacré aux expositions professionnelles et à la nécessité de les évaluer pour les prévenir.
L'utilisation des médicaments cytotoxiques est considérée depuis la fin des années 1970 comme un risque professionnel dans les établissements de santé et des guides de bonne pratique existent depuis la fin des années 2000.
L'équipe de Sophie Ndaw a évalué les expositions des soignants d'un centre hospitalier exclusivement dédié à la cancérologie à six ans d'intervalle, en 2010, puis en 2016.
De 15 à 57 % de soignants exposés en 6 ans
En 2010, 16 infirmiers et 4 aides-soignants ont bénéficié de prélèvements. La moitié d'entre eux était exposée à des agents cytotoxiques. Quatre médicaments marqueurs de l'exposition étaient testés : le 5-fluorouracile, le cyclophosphamide, l'ifosfamide, et le méthotrexate. Les résultats montrent que 15 % des soignants étaient exposés au 5-Fluorouracile (et 4 % des échantillons urinaires étaient contaminés) ; des traces du médicament ont aussi été retrouvées dans la moitié des prélèvements réalisés sur les paillasses, faces externes des préparations, poignées de tiroir ou souris d'ordinateurs (jusqu'à 197 ng/lingettes).
En 2016, 14 infirmiers, 5 aides-soignants et 4 agents de service hospitalier ont été prélevés dans les mêmes services d'oncologie, mais seules les expositions au 5-Fluorouracile ont été évaluées. Plus des trois quarts (78 %) des participants ont été exposés, et jusqu'à 79 % des infirmiers et 80 % des aides-soignants. Même en tenant compte du biais induit par l'amélioration de la méthode de dosage, les pourcentages restent bien supérieurs à 2010, puisque 57 % des soignants sont exposés. De même, des traces de 5-Fluorouracile ont été relevées dans les chambres des patients (jusqu'à 10 000 ng/lingettes) et sur les mains des soignants.
Méconnaissance du problème par les soignants
Entre 2010 et 2016, l'hôpital a mis en place plusieurs actions de prévention : mise à disposition de gants en nitrile (et non en vinyle), identification de zones dédiées aux médicaments cytotoxiques dans les salles de soins, champs opératoires à usage unique pour déposer les préparations, procédures de nettoyage, et information des nouveaux arrivants.
Or la persistance, voire l'augmentation des expositions, est la preuve de la faiblesse de cet arsenal de mesures. En 2016, 74 % des infirmiers, 80 % des aides-soignants (deux corps de métier objet d'un grand turn-over) et tous les ASH ne se sentent pas suffisamment informés sur le risque cytotoxique, les sources d'exposition et les précautions à prendre.
Les auteurs rappellent en conclusion que les déterminants de l'exposition étant multiples, leur identification et prise en compte dans la maîtrise du risque sont essentielles. Un suivi régulier des expositions via la biométrologie doit permettre de maintenir le niveau de vigilance du personnel.
Plus largement, Mounia El Yamani (de Santé publique France) et Gérard Lasfargues (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) insistent dans l'éditorial du « BEH » sur l'importance d'une connaissance fine des expositions professionnelles par emploi et secteur d'activité pour proposer des stratégies de prévention adaptées aux différents travailleurs. L'on peut ainsi lire des articles sur l'exposition des catégories les moins qualifiées à une perte d'autonomie dans leur travail, sur les troubles musculo-squelettiques qui concernent 14 % des hommes et 12 % des femmes, sur l'exposition des femmes aux solvants oxygénés, des hommes aux solvants chlorés et pétroliers, ou encore des viticulteurs aux produits arsenicaux. Enfin, l'étude de Nadine Fréry et coll. indique que 2 millions de salariés en France ont été exposés à au moins un cancérigène de l'appareil respiratoire.
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