Comment faire face à l’envolée des coûts des médicaments anticancéreux ? Voilà un sujet qui est cher à l’Académie de médecine, qui publie régulièrement des recommandations très documentées à l’attention des pouvoirs publics. « Il s’agit d’un enjeu majeur, à la fois sur un plan médical, économique, sociétal et éthique. En 2023, on a recensé 433 136 cas de cancer en France métropolitaine et il est crucial qu’on puisse continuer à offrir à chaque patient une prise en charge optimale, avec une enveloppe financière qui ne sera pas extensible à l’infini », indique le Pr François Guilhot, hématologue, qui a dirigé un groupe de travail de l’Académie sur le coût des médicaments anticancéreux.
Ce groupe a auditionné une trentaine de personnes et rédigé un rapport adopté par l’Académie en octobre. « Le traitement des cancers vient de connaître en 20 ans une révolution médicale liée à la mise au point de nouveaux médicaments, tels les thérapeutiques ciblées, les inhibiteurs de points de jonction immunologiques et les cellules lymphocytaires génétiquement modifiées (cellules CAR-T). Ces traitements, qui ont des coûts de production élevés, sont prescrits parfois longtemps, et la durée des prises en charge des patients cancéreux se prolonge, liée à l’utilisation de ces produits en 3e et plus de lignes de traitement », indique ce rapport, en soulignant que, depuis 25 ans, les traitements du cancer ont été bouleversés par trois grands progrès : les thérapeutiques ciblées, l’immunothérapie (anticorps monoclonaux et inhibiteurs de points de jonction) et les médicaments de thérapie innovante (les cellules CAR-T).
Des injections qui peuvent dépasser 400 000 €
« La révolution biotechnologique en cours fait changer de paradigme. À l’utilisation continue pendant de nombreuses années de produits chimiques peu onéreux, s’est substituée, dans certaines indications, l’utilisation, en une seule fois, d’un seul produit administré en quelques minutes, certes prometteur, mais au prix considérable ; il en est ainsi des cellules CAR-T, dont la perfusion unitaire peut coûter entre 300 000 et 400 000 € », note le rapport, en relevant le développement rapide des coûts de ces nouveaux traitements. Au niveau européen, 3 300 injections ont été recensées à la fin mars 2022, dont 3 000 sont des CAR-T commerciaux. « Le prix moyen d’une injection (une dose) étant de 350 000 euros, le total financier pour l’Europe aura été d’un milliard d’euros sur trois ans, avec une croissance annuelle exponentielle. Toutefois, ces coûts ne comportent ni le financement préalable de l’infrastructure hospitalière nécessaire, ni l’hospitalisation qui précède et qui suit l’administration des cellules CAR-T, ni la prise en charge des complications éventuelles. Environ plus de 15 000 patients ont à ce jour reçu des cellules CAR-T dans le monde. Une revue chinoise publiée en 2022 a estimé qu’alors que l’investissement chinois au cours de l’année 2018 avait été de 412 millions de dollars US, de fonds publics uniquement ; il avait été porté en 2021 à 1,1 milliard de dollars US provenant de fonds publics, auxquels se sont ajoutés 1,25 milliard de dollars US de fonds privés », indique le rapport.
Une croissance exponentielle
En France, le nombre des cellules CAR-T injectées pour la période de janvier 2018 à décembre 2022 a été de 1879, avec comme indication principale les lymphomes, et comme indication émergente les myélomes. « La croissance est exponentielle. Au cours de l’année 2022, le nombre d’administrations a été de 685, soit une facture annuelle, pour la seule fourniture des doses, d’environ 240 millions € », précise le rapport.
Face à ces dépenses, un des enjeux est celui de la fabrication de ces traitements dans un cadre non commercial. « La France aurait les moyens de fabriquer ces cellules CAR-T, via des plateformes de très grande expertise. Il existe des plateformes de ce type à Lille, à Paris ou à Besançon. Nous avons aussi dans notre pays des scientifiques très pointus, qui ont la capacité de prélever ces cellules pour les modifier génétiquement afin de mettre au point ces traitements », indique le Pr Guilhot, en ajoutant que notre pays pourrait s’inspirer d’initiatives lancées à l’étranger. « En, janvier, nous allons organiser une rencontre à Paris avec Julio Delgado, un scientifique barcelonais qui fabrique les cellules CAR-T de manière universitaire et non commerciale, pour un coût unitaire d’environ 70 000 €. Je suis aussi en contact avec une collègue canadienne, qui a le projet de faire de même à Ottawa. Je sais aussi que des scientifiques danois travaillent aussi dans cette direction », détaille le Pr Guilhot.
Dans son, rapport, l’Académie de médecin fait diverses recommandations, notamment en direction de l’État pour soutenir le développement des cellules CAR-T d’origine institutionnelle au sein d’un réseau français, franco-espagnol voire européen, pour des indications reconnues et aussi des niches médicales mieux identifiées. Autre recommandation : créer une structure à but non lucratif et sans capital-actions, destinée à développer, produire et acquérir des médicaments anticancéreux, en garantissant un approvisionnement aux hôpitaux, centres anticancéreux et cliniques à un prix pré établi, quelle que soit la quantité achetée.
Entretien avec Pr François Guilhot, hématologue et membre de l’Académie de médecine
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?