PAR LE Dr CHRISTIAN COMBE (a) ET LES Prs FRANK BRIDOUX (b) ET JEAN-PAUL FERMAND (c)
L’INSUFFISANCE RÉNALE est une complication majeure du myélome multiple (MM), survenant chez environ 50 % des patients au cours de l’évolution de la maladie (1). Dans 60 % des cas, elle est liée à la précipitation de cylindres formés par l’interaction des chaînes légères monoclonales dans la lumière du tubule distal avec la protéine de Tamm-Horsfall (2). La néphropathie à cylindres myélomateux (NCM) s’observe au cours de MM de forte masse tumorale, responsables de la sécrétion de grandes quantités de chaînes légères dépassant les capacités de réabsorption tubulaire proximale (3). L’insuffisance rénale au cours de la NCM relève de l’obstruction tubulaire par les cylindres de chaînes légères, mais aussi de la réaction inflammatoire provoquée par les cylindres. La NCM est souvent déclenchée par des facteurs tels que déshydratation, hypercalcémie, infections, injection de produits de contraste iodés, ou des médicaments potentiellement néphrotoxiques (AINS, IEC, sartans, diurétiques…).
Le pronostic rénal de la NCM demeure mal établi, avec des données très variables dans la littérature, liées à l’absence de confirmation de la réelle nature des lésions histologiques rénales et à la grande disparité des protocoles de chimiothérapie utilisés. Une amélioration de la fonction rénale survient chez 50 à 60 % des patients (4), et, pour ceux nécessitant l’hémodialyse, un sevrage est possible dans 20 à 40 % des cas (5). Des données récentes suggèrent que ces résultats pourraient être nettement améliorés avec l’utilisation de molécules telles que le bortezomib ou le thalidomide, en association à de fortes doses de dexaméthasone. La persistance d’une insuffisance rénale représente un facteur de mauvais pronostic vital au cours du MM, avec une survie médiane de 4 mois, contre 28 mois pour les patients dont l’insuffisance rénale récupère avec la chimiothérapie (6).
Le traitement de la NCM repose sur des mesures symptomatiques et la mise en route rapide d’une chimiothérapie visant à réduire rapidement la production des chaînes légères monoclonales. Le traitement symptomatique est capital, il vise à corriger les facteurs favorisants (réhydratation, traitement de l’hypercalcémie, traitement des infections) et à alcaliniser les urines pour obtenir un pH urinaire ≥ 7.
L’épuration des chaînes légères.
L’épuration rapide des chaînes légères monoclonales, soit par plasmaphérèses, soit à l’aide de membrane de dialyse de très haute perméabilité, constitue une voie thérapeutique complémentaire de la chimiothérapie, permettant d’obtenir une concentration circulante de chaînes légères moindre, et donc de réduire le risque que celles-ci précipitent.
Les plasmaphérèses n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Deux études contrôlées de faible effectif (29 et 21 patients) ont donné des résultats peu concluants (7, 8). Dans la plus grande étude réalisée (5) chez 107 patients avec une IRA contemporaine du diagnostic de MM, l’utilisation de plasmaphérèses couplée à une chimiothérapie classique par VAD (vincristine-adriamycine-dexaméthasone) ou melphalan plus prednisone n’a pas eu d’influence significative sur le devenir rénal ou la survie (5). Il est vraisemblable que la quantité de chaînes légères soustraite par les plasmaphérèses est insuffisante pour permettre la récupération de la fonction rénale chez la majorité des patients.
L’utilisation d’une membrane de dialyse de très large perméabilité aux protéines (Gambro® HCO 1100) peut réduire de façon efficace la concentration de chaînes légères libres circulantes chez des patients ayant un MM et une IR nécessitant la dialyse (9). La tolérance clinique de cette technique paraît satisfaisante, malgré une perte d’albumine de 20 à 40 g par séance (9). Les données actuelles indiquent que l’utilisation d’un seul dialyseur HCO 1100 par séance de 4 à 6 heures permet d’obtenir une épuration satisfaisante des chaînes légères libres sériques et l’amélioration de la fonction rénale. Dans une série de 19 patients (10), ce protocole d’hémodialyse en complément de chimiothérapies variées a permis une diminution de la concentration ces chaînes légères circulantes chez 13 patients qui ont pu être sevrés de la dialyse au bout de 4 semaines environ, avec une amélioration de la survie.
En dehors de la filtration des protéines, d’autres techniques ont été utilisées, notamment l’adsorption des protéines avec des membranes comme le polyméthyl-métacrylate, la preuve de leur efficacité in vitro et clinique n’est toutefois pas faite (9).
L’approche combinée.
Le choix et les modalités de la chimiothérapie initiale des patients ayant une NCM demeurent mal définis. Un point capital est la nécessité d’introduire rapidement le traitement, dès le diagnostic, afin de réduire la production des chaînes légères monoclonales dans les meilleurs délais et d’obtenir une réponse rénale rapide, facteur pronostique essentiel.
L’amélioration de la fonction rénale permet d’envisager, chez le sujet jeune, l’utilisation d’un traitement intensif, avec quelques cures d’une chimiothérapie « classique », puis une étape de mobilisation des cellules souches hématopoïétiques par facteur de croissance avec ou sans chimiothérapie, et, enfin, le traitement intensif proprement dit, utilisant le plus souvent une forte dose de melphalan suivie de la réinjection des CSP.
Les études randomisées ayant établi la supériorité des traitements intensifs sur les chimiothérapies classiques ont exclu les malades ayant une insuffisance rénale persistante avérée. La faisabilité des traitements intensifs avec autogreffe est cependant bien démontrée en cas d’insuffisance rénale, y compris chez les hémodialysés, mais au prix d’une morbidité et d’une mortalité accrues (11, 12). Le bénéfice/risque de l’autogreffe reste donc incertain et la place d’un traitement intensif en situation d’insuffisance rénale persistante avérée n’est pas établi.
Actuellement, la dexaméthasone apparaît indiscutable du fait de son action anti-inflammatoire (13). La nature des cytotoxiques à lui associer n’a pratiquement pas été évaluée. L’élimination rénale de certains d’entre eux en limite l’utilisation ; elle peut conduire à préférer, pour le choix d’un alkylant, le cyclophosphamide au melphalan. Les schémas de type VAD (vincristine, adriamycine, dexaméthasone) ont longtemps été les plus employés, malgré leur toxicité. L’introduction récente de nouveaux agents, le thalidomide et son dérivé, le lenalidomide, ainsi que l’inhibiteur du protéasome, le bortezomib, a modifié les données du choix du traitement optimal initial du MM. Il est nécessaire qu’ils soient évalués au cours des MM avec insuffisance rénale dans des études randomisées prospectives.
Les essais thérapeutiques en cours.
L’efficacité des chimiothérapies actuelles nécessite d’être appréciée spécifiquement chez les patients ayant un myélome avec atteinte rénale, dans la mesure où ces patients sont le plus souvent exclus a priori des essais. Par ailleurs, l’efficacité des méthodes nouvelles d’épuration mérite d’être évaluée par elle-même, et dans le contexte de ces chimiothérapies.
Après les travaux majeurs qu’il a réalisés (9, 10), C.A. Hutchison conduit un essai (EuLITE) au Royaume-Uni et en Allemagne qui vise à évaluer l’efficacité de l’hémodialyse avec le dialyseur HCO chez des patients ayant une NCM prouvée avec IRA (14).
L’essai MYRE (« Traitement de la néphropathie à cylindres myélomateux ») est soutenu par le Programme hospitalier de recherche clinique, les investigateurs principaux sont J.-P. Fermand (Paris) et F. Bridoux (Poitiers). Il associe néphrologues, hématologues et biostatisticien. L’essai doit inclure 312 patients, l’objectif principal est d’évaluer, chez des malades ayant un myélome multiple compliqué d’insuffisance rénale par néphropathie à cylindres myélomateux, l’effet sur la fonction rénale des thérapeutiques suivantes :
– Pour les malades ne nécessitant pas l’épuration extrarénale, : une chimiothérapie associant, soit bortezomib et dexaméthasone, soit cyclophosphamide-thalidomide et dexaméthasone.
– Pour les malades nécessitant une épuration extrarénale, une hémodialyse, soit par la membrane de dialyse Gambro HCO, soit par une membrane traditionnelle, associée à une chimiothérapie par bortezomib et dexaméthasone.
(a) Service de Néphrologie Transplantation Dialyse, Centre Hospitalier Universitaire de Bordeaux ; INSERM U889, Université de Bordeaux.
(b) Service de néphrologie, hémodialyse et transplantation rénale et Centre de référence des amyloses primitives et des maladies de dépôts d'immunoglobulines monoclonales, CHU de Poitiers ; Université de Poitiers.
(c) Service d’immunologie clinique, hôpital Saint-Louis, Paris.
(1) Rayner HC et coll. Q J Med. 1991 Jun;79(290):517-25.
(2) Rota S et coll. «a clinicopathologic study of outcome and prognosis in 34 patients». Medicine (Baltimore). 1987 Mar;66(2):126-37.
(3) Ronco P et coll. Clin J Am Soc Nephrol. 2006 Nov;1(6):1342-50.
(4) Knudsen LM et coll Eur J Haematol. 2000 Sep;65(3):175-81.
(5) Clark WF et coll. Ann Intern Med. 2005 Dec 6;143(11):777-84.
(6) Blade J et coll. Arch Intern Med. 1998 Sep 28;158(17):1889-93.
(7) Zucchelli P et coll. Kidney Int. 1988 Jun;33(6):1175-80.
(8) Johnson WJ et coll. Arch Intern Med. 1990 Apr;150(4):863-
(9) Hutchison CA et coll. J Am Soc Nephrol. 2007 Mar;18(3):886-95.
(10) Hutchison CA et coll. Clin J Am Soc Nephrol. 2009 Apr;4(4):745-54.
(11) Badros A et coll. Haematol. 2001 Sep;114(4):822-9.
(12) Knudsen LM et coll. Eur J Haematol. 2005 Jul;75(1):27-33.
(13) Kastritis E, et coll. Haematologica. 2007 Apr;92(4):546-9.
(14) Hutchison CA et coll. Trials. 2008;9:55.
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