Effets des radiations ionisantes sur l’intestin.
On oppose les lésions épithéliales précoces aux lésions endothéliales plus tardives. Les lésions d’entéropathie radique chronique associent une fibrose de la paroi intestinale et, surtout, une atteinte des petites artères qui sont épaissies et hyalinisées. Ces phénomènes aboutissent à des ulcérations muqueuses, des sténoses et, plus rarement, à des fistules. L’iléon préterminal est fréquemment intéressé. Il est le lieu de résorption des acides biliaires et de la vitamine B12.
Fréquence et gravité des troubles cliniques observés.
Au cours d’une radiothérapie pelvienne, environ 50 % des patients présentent une diarrhée, des crampes digestives, la présence de mucus dans les selles. Dans 20 % des cas, le traitement doit être interrompu temporairement. À distance, environ 4 à 8 % des patients vont présenter des complications tardives.
Tableaux cliniques et modalités diagnostiques.
1. Manifestations aiguës
- L’iléite aiguë débute dès la deuxième semaine de radiothérapie avec un pic de fréquence à la quatrième semaine. Elle se manifeste par de la diarrhée, des crampes abdominales, des nausées, un amaigrissement.
- La rectite aiguë débute à la troisième semaine. Elle se manifeste par une pesanteur pelvienne, des crampes, des épreintes, du ténesme, une exonération fractionnée accompagnée de mucus. Elle régresse en deux à six semaines.
2. Manifestations tardives
Elles surviennent quelques mois à plusieurs années après la radiothérapie. Il s’agit le plus souvent de diarrhée de grade 1 ou 2. Plus rarement, il s’agit de tableaux graves, occlusions, hémorragies intestinales, nécrose digestive pouvant conduire au décès. Dans 20 % des cas plusieurs segments digestifs sont atteints, rendant compte de tableaux complexes.
- La diarrhée chronique.
C’est la manifestation la plus fréquente. Le risque actuariel cinq ans après radiothérapie postopératoire de cancer rectal de diarrhée de grade 2 atteint 50 %. Il est probablement bien plus faible dans les irradiations pelviennes classiques (cancer de prostate ou gynécologiques).
- La malabsorption.
Elle est à l’origine de carences en vitamines liposolubles, en sels minéraux (Ca, Mg) et oligo-éléments (Se, Zn). La surveillance du poids, de l’index de masse corporelle, des électrolytes, de l’albuminémie, de la calcémie, de la prothrombinémie, de la kaliémie et de la magnésémie sont utiles.
- L’obstruction de l’intestin grêle.
Le tableau achevé est un syndrome de König typique avec douleurs abdominales évoluant par crises, souvent accompagnées de bruits hydroaériques, vomissements de liquide intestinal soulageant la sensation de plénitude épigastrique. L’abdomen est sensible à la palpation, qui déclenche des bruits hydroaériques. L’examen le plus utile est le scanner abdominal.
- La sténose sigmoïdienne.
Complication du traitement de cancers utérins traités par radiothérapie externe et curiethérapie endocavitaire. Exonérations fractionnées, douleurs abdominales, mucus et sang avec les selles doivent l’évoquer. Le diagnostic est radiologique et endoscopique.
- La rectite radique.
Dans sa forme mineure elle se traduit par une diminution de la compliance rectale (selles étroites, fractionnées, impérieuses) et des rectorragies minimes intermittentes (grades 1-2). Plus graves sont les hémorragies répétées, quasi quotidiennes avec caillots entraînant anémie ferriprive. Le diagnostic est endoscopique : abrasion de la muqueuse, télangiectasies saignant au contact, ulcère.
- Perforations, fistules.
Elles sont rares aujourd’hui. Il peut s’agir de fistules entéro-entérales ou extériorisées à travers la paroi abdominale, le vagin, associées à une occlusion chronique et une malabsorption. D’autres lésions sont fréquemment associées : cystite radique, sténose urétérale, nécrose osseuse pelvienne.
Facteurs favorisants
Facteurs liés à la radiothérapie favorisant l’entéropathie radique.
Le risque d’iléite radique augmente significativement si la dose au pelvis dépasse 45 Gy. La radiothérapie postopératoire est plus toxique que la radiothérapie préopératoire.
Prévention de l’entéropathie radique.
Elle passe par une optimisation de la radiothérapie. L’identification des organes à risque (OAR) lors de la phase de préparation sur un scanner dédié permet de calculer les volumes d’irradiation. On dispose par ailleurs des seuils de tolérance en fonction des volumes de ces OAR. De plus, les nouveaux accélérateurs permettent de délivrer une radiothérapie « modulée », multifaisceaux (› ou = 5) au cours de laquelle le volume irradié sera au plus près du volume à traiter (IMRT).
Diagnostic différentiel.
Le diagnostic d’entéropathie radique repose sur la clinique, le scanner abdominal et le dosage des marqueurs sériques. Une récidive du cancer et second cancer sont assez facilement éliminés. Seule la carcinose péritonéale peut prêter à confusion.
Traitement de l’entéropathie radique.
Il n’y a pas de traitement permettant de faire disparaître les lésions d’entérite radique. Le traitement visera donc les symptômes et le retentissement nutritionnel. La prise en charge des formes graves est nécessairement multidisciplinaire.
1. La diarrhée et la malabsorption.
Le traitement de la diarrhée est guidé par l’analyse sémiologique.
. La diarrhée motrice est améliorée par les ralentisseurs du transit : lopéramide (jusqu’à 6-8 gélules par jour), sirop de codéine. Le cas particulier du grêle court (moins de 2 mètres de grêle restant) consécutif à des résections chirurgicales doit faire demander un avis auprès d’une équipe de gastro-entérologie spécialisée en nutrition clinique.
. L’entéropathie cholerrhéique (liée au défaut d’absorption des acides biliaires) répond aux chélateurs des acides biliaires comme la cholestyramine (4 g x 2/j) ; cependant le traitement au long cours peut majorer la maldigestion des lipides et la malabsorption des vitamines liposolubles.
. Si une pullulation bactérienne est suspectée, le patient peut tirer bénéfice d’un traitement antibiotique. Un essai contrôlé a montré une efficacité symptomatique de la norfloxacine ou de l’association amoxicilline-acide clavulanique. Des cures courtes répétées ou une antibiothérapie en continu sont souvent nécessaires.
2. La dénutrition
L’aide d’une diététicienne est indispensable, afin d’évaluer si les apports alimentaires sont adaptés aux besoins métaboliques du patient. Lorsque la dénutrition est sévère, une hospitalisation avec mise en route d’une alimentation entérale ou parentérale est justifiée. Dans les autres situations, une supplémentation nutritionnelle pourra être apportée par un enrichissement des repas ou des compléments nutritionnels oraux. Une supplémentation en calcium, magnésium et vitamine D est souvent indiquée et peut être apportée par voie orale. L’absorption de la vitamine B12 est presque toujours perturbée dans l’ER chronique et justifie une supplémentation préventive par voie intramusculaire (une injection de 1 000 gamma par mois).
3. La chirurgie
Elle doit être pratiquée par des équipes entraînées. Elle doit être évitée en urgence, envisagée seulement après bilan lésionnel précis et la préparation du malade (renutrition, aspiration digestive). Les résections-anastomoses sont préférées aux by-pass. Des réinterventions peuvent être nécessaires. Les sténoses localisées ont meilleur pronostic et sont une indication chirurgicale.
4. Les proctites et rectites radiques
Leur traitement a fait l’objet de plusieurs essais contrôlés et d’une métaanalyse du groupe Cochrane. Les lavements de sucralfate, de corticoïdes, seuls ou associés à du métronidazole per os ont montré une efficacité. Les traitements endoscopiques (thermocoagulation, électrocoagulation bipolaire, coagulation au plasma Argon et applications locales de formol) n’ont fait l’objet que d’études ouvertes mais sont pourtant largement utilisés après échec des lavements. L’oxygénothérapie hyperbare dans le traitement des proctites radiques a été également étudiée. Elle est efficace sur les symptômes et les lésions de rectite radique (ainsi que sur les lésions ORL et osseuses post-radiques).
Conclusion.
Le diagnostic de l’entérite radique repose sur l’association de symptômes évocateurs, des antécédents d’irradiation et d’examens morphologiques. Le traitement est difficile et mal codifié. Il s’adresse à des malades souvent fragiles, déjà lourdement éprouvés par le cancer. Il relève d’équipes multidisciplinaires (gastroentérologues, nutritionnistes, endoscopistes, chirurgiens) expérimentées dans ce domaine.
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