Pathologies buccales iatrogènes

Une vigilance permanente

Publié le 01/04/2009
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LA PATHOLOGIE des glandes salivaires est la première cause de plainte endo-buccale iatrogène. De nombreux médicaments peuvent induire une xérostomie : antihypertenseurs, psychotropes, anticholinergiques, etc. D’autres, à l’inverse, peuvent provoquer une sialorrhée excessive, tels certains anticholinestérasiques ou des antibiotiques. Des douleurs des glandes salivaires, des brûlures, des troubles de coloration de la salive sont également possibles. L’halitose (sensation de mauvaise haleine), fréquente avec le disulfiram, résulte d’une perturbation de la composition de la salive. Les troubles du goût (dysgueusie, agueusie ou hypogueusie) peuvent être dus à des modifications de la salive ou à des interactions au niveau des récepteurs du goût.

L’hyperplasie de la muqueuse gingivale possible avec, entre autres, les anticalciques, la phenytoïne, la ciclosporine, peut entraîner des complications parodontales et nécessiter une exérèse chirurgicale des lésions avec curetage et ablation de la muqueuse hypertrophiée, source de surinfection.

Les très rares angioedèmes endobuccaux (AE) d’origine allergique, c'est-à-dire médiés par une histaminolibération IgE-induite (antibiotiques, AINS, anesthésiques locaux, etc.), sont difficiles à diagnostiquer car la tuméfaction buccale est non spécifique. Ces lésions sont sensibles aux corticoïdes et aux antihistaminiques. L’AE induit par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), qui survient parfois de façon retardée (plusieurs mois) ce qui rend son diagnostic difficile, ne résulte pas d’un mécanisme anaphylactique vrai mais est de type pharmacologique, car les IEC retardent le catabolisme des bradykinines. Aussi, le traitement par antihistaminiques, corticoïdes et amines pressives est inefficace. L’acide traxénamique, dégradant les kinines, pourrait être un traitement spécifique.

Les chéilites, provoquées par certains médicaments (phénothiazines, inhibiteurs de protéase, rétinoïdes…), par des cosmétiques ou par des produits alimentaires, ne doivent pas être confondues avec celles résultant d’une carence (fer, vitamine C) ou d’une exposition excessive au soleil. Elles sont de diagnostic difficile car les signes cliniques et histologiques sont non spécifiques.

Certains médicaments provoquent des ulcérations endobuccales multiples et superficielles qu’il est difficile de différencier de l’aphtose, des lésions de primoinfection herpétique, du syndrome pied-main-bouche et des infections à parvovirus B19. Le nicorandil induit tout particulièrement des ulcérations chroniques, hyperalgiques, de grande taille et parfois très mutilantes au niveau de la bouche, mais aussi au niveau du tractus digestif, voire en région péri-anale. Des molécules thiolées, la phénylbutazone, l’ampicilline, la D-pénicillamine, entre aurtes, peuvent être à l’origine de pemphigus avec des lésions pouvant s’étendre jusqu’à l’œsophage. L’interrogatoire suffit en général à identifier les ulcérations par mauvais usage et effet caustique d’antiseptiques non dilués ou de comprimés effervescents sucés au lieu d’être mis dans l’eau.

En cancérologie, des mucites sont souvent observées avec des cytotoxiques tels le melfalan, le fluorouracile (5-FU), le méthotrexate ou après une radiothérapie cervicale. Le traitement préventif peut faire appel à l’amifostine, cytoprotecteur qui dispose d’une AMM dans cette indication. La consommation de sucettes glacées ou de glaçons maintenus au contact de la muqueuse buccale au minimum 15 à 20 minutes au début de chaque cure peut réduire l’effet toxique des chimiothérapies en induisant une vasoconstriction localisée. Lorsque les lésions sont évolutives, les soins locaux sont fondamentaux. Un brossage dentaire soigneux et des bains de bouche antiseptiques sont recommandés (par exemple, solution de chlorhexidine + povidone iodée + nystatine + sérum physiologique).

Un grand nombre de médicaments (AINS, IEC, inhibiteurs de protéase, antipaludéens, phénothiazines, tétracyclines…) interviendrait dans la survenue de certaines stomatites lichénoïdes. L’imputabilité des médicaments dans le déclenchement des lichens endobuccaux reste cependant difficile à prouver. Le rôle des amalgames dentaires lorsque les lésions lichénoïdes sont strictement localisées en regard des dents soignées a été également évoqué. Il est cependant peu probable quand les lésions sont étendues et associées à des manifestations cutanées.

Une vigilance particulière doit être portée aux patients traités par bisphosphonates qui nécessitent une prise en charge buccodentaire. L’ostéonécrose de la mandibule et du maxillaire est un effet indésirable qui survient essentiellement avec les bisphosphonates administrés par voie IV prescrits dans les pathologies malignes (incidence variant de 0,8- à 12 % selon les études). Cette complication a donné lieu à des recommandations de l’AFSSAPS. L’ostéonécrose se traduit par des ostéites avec ulcération de la gencive, plaies qui ne cicatrisent pas, mise à nu de l’os de la mandibule ou du maxillaire sous-jacent et mobilité dentaire anormale. Dans les formes évoluées, des abcès de la région cervico-faciale peuvent s’accompagner de signes généraux, de fistulisation des lésions ou même d’ostéolyse majeure. Une prise unique peut suffire à déclencher le processus dont la survenue peut être différée (jusqu’à un an après l’injection). La réversibilité est probable, au moins avec les formes orales, mais lente. Les ostéonécroses surviennent souvent dans la suite de soins buccodentaires. L’ostéonécrose n’a pas de traitement spécifique. La seule stratégie thérapeutique est l’antibiothérapie. La chirurgie osseuse n’est pas recommandée car elle risque d’accélérer la lyse osseuse.

›YVONNE EVRARD

D’après un entretien avec le Pr Marie-Aleth Richard , hôpital de Sainte-Marguerite, Marseille

Le Quotidien du Mdecin

Source : lequotidiendumedecin.fr